GRECO au Grand Palais
Par Henri-Hugues Lejeune
Après avoir admiré cette superbe et révélatrice exposition, nul n’ose se rappeler l’image, certes confuse et gourmée, traditionnelle pourtant, d’un peintre Espagnol, donc austère malgré ses origines Grecques, Crétoises, de portraits aux visages allongés et lugubres, orgueilleux engoncés de noir, ou torturé dans l’énigme labyrinthique de « L’enterrement du comte d’Orgaz », d’ailleurs restée dans l’Eglise Saint-Thomas à Tolède aussi superbe qu’énigmatique.
Bref, l’on s’en tenait à une distance respectueuse et on ne le connaissait pas.
L’on se retrouve ici ébloui par la créativité et l’invention d’un génie exubérant assorti d’une personnalité pour le moins hors du commun, dominant tous les domaines artistiques de son temps capable d’intuitions foudroyantes et d’intemporelles trouvailles.
Sa vie fut pleine, riche, aventureuse et passionnée (1541-1614).
Il naquit en Crète : Doménikos Theotokòpoulos à Candie aujourd’hui Heraklion. C’était alors terre vénitienne.
Il s’y forma à l’art traditionnel de l’icône et il conserva toute sa vie le talent de faire grand et profond en petit format. Quelques retables et petit formats exposés ici sont éclatants, révélateurs d’une dimension métaphysique de la concentration dont, je l’avoue, je ne m’étais pas avisé jusqu’alors.
Visiblement ambitieux et sûr de lui, comme maint épisode de sa vie le révèle, il débarque à Venise en 1577, grande place de la peinture italienne d’alors, où règne Le Titien dont il fréquenta peut-être l’atelier. C’est aussi la ville du Tintoret, de Bellini, de Bordone ou Bassano, adepte du clair-obscur qu’il maniera avec maîtrise ; bref il transforme là et enrichit sa palette artistique.
Encore très riche, débordante de talents, Venise est en pleine acmé artistique mais néanmoins les places sont chères.
Reconnu, le Greco ne peut toutefois conquérir les grands marchés de pièces monumentales d’églises ou de monuments publics en face de parelle concurrence. La fresque lui est étrangère. Il doit se contenter de formats modestes, d’oratoires privés ou de particuliers.
Ayant beaucoup appris, mûri mais toujours insatisfait, il part en 1570 pour Rome où il s’installera jusqu’en 1576.
L’ombre de Michel-Ange qui vient de disparaître à 90 ans, plane encore etqu’il récuse.
Les mêmes causes, à Rome, produisent les mêmes effets. Sauf que Le Greco, d’un tempérament visiblement ombrageux, semble s’y être à quelque moment mis au ban ; si bien qu’il décide de quitter Rome pour Tolède qui l’appelle, alors capitale intellectuelle de l’Espagne quePhilippe II, confit en dévotion, couvre de prestigieux monuments religieux. Bien accueilli, il trouvera ici sa vraie place, la plus enviée, règnera sans partage et pourra faire preuve de son autorité, sa profonde originalité… et sa créativité volontiers théâtrale.
Prospère, il installe un atelier afin de pouvoir faire face aux commandes, qui donne aujourd’hui du fil à retordre aux experts quant aux attributions ; il prendra son fils auprès de lui pour rassurer les pratiques sur la mise à bonne fin des commandes qui lui sont passées et il meurt couvert de gloire en 1614. Son fils deviendra architecte.
La coutume veut que l’on situe volontiers son œuvre si originale et non sans étrangetés et en ouverte opposition, en référence avec la peinture du siècle d’or italien.
Psychologiquement, et en tant que créateur artistique, assimilateur, cosmopolite et voyageur, grand homme d’affaires, je songerais personnellement à Rubens, qui allait poindre… et à Picasso !
Candie, Venise, Anvers, Malaga, Vivent les Ports !
Du 16 octobre 2019 au 10 février 2020.