Regards

Les coups de cœur d’Esther Ségal

Valérie Honnart, d’en-vol et d’en-chute

Valérie Honnart est une artiste complexe, un feu sous la…peinture. Subjectile, subjective, elle semble raviver sous un ciel de toile carbonisée, de bois et de soie, la clarté fébrile d’impacts de vies qui l’ont touchée. Ainsi fait-elle de sa peinture une collision permanente de ressentis mnésiques qu’elle intériorise, infuse – des souvenirs de lumière, s’accrochent comme des phalènes à la vitre intérieure (1) – médite et mythifie. Tout est prétexte au voyage… mais un voyage des profondeurs, un voyage d’a-pesanteur où le corps épars – ange foudroyé – tente une unique apparition. Gaston Bachelard écrivait : « il est des vols légers ; il est des vols lourds » (2) et l’univers de Valérie Honnart clignote entre ces deux envolées défiant les lois de la gravité au sens d’une élévation spirituelle et d’un retour à la poussière de notre condition. Traversée par une pensée Nietzschéenne qui tente de réconcilier l’abîme et les étoiles, traversée par une matière en quête de transcendance, elle se bat, s’ébat dans un imaginaire identitaire alternatif qui ne la quitte jamais et qu’elle espère exorciser. Son geste, tracé sans repentir, se joint à cette volonté artistique. L’artiste semble ainsi adopter une posture artistique « martiale », invocatrice concentrant toute son énergie au bout de son pinceau afin de se délivrer et de délivrer ses images – d’en-vol et d’en-chute – des images ailées et matricielles, révélant la gravité d’une humanité pouvant disparaître à tout moment sous le poids d’une vie, d’une pierre, du monde contemporain, une humanité qui est aussi la sienne…

Car « Je vous le dis, pour engendrer une étoile qui danse il faut en soi-même encore avoir quelque chaos » (3), telles sont les mots qui courent sur l’un des murs de son atelier et parcourent aussi son œuvre. Partagée entre la forme et l’informe, la disparition et la survivance, elle laisse palpiter une émotion intime à la surface de sa toile où des corps surgissent et s’enfouissent emportés par des vents contraires. Lao Tseu écrivait « Le filet du ciel est immense ; ses mailles sont écartées et cependant personne n’échappe » (4). Dans l’espace emmaillé de ses toiles, sans échappée possible, les corps vont et viennent, chutent, flottent, s’enlacent, dansent, portent, se tordent, toujours en devenir, en fuite ou en force sur lesquels l’artiste semble souffler dans un savant mélange d’inspiration occidentale et asiatique, d’incarnation et de dissolution, un vent de tempête intérieure. Tout s’embrase, s’embrasse et… surtout se creuse car Valérie Honnart explore avant tout l’être de sa peinture, l’interroge, la fouille, strates après strates, laques après laques, pigments après pigments, comme si elle tentait tel un Sisyphe de ramener à la surface une étrange clarté fantomale.

En cela, il y a de la revenance dans son travail. Ne l’oublions pas… « Les images souffrent aussi de réminiscences » (5). De la profondeur d’une œuvre peut surgir à tout instant cet esprit non apaisé, cette mémoire non enfouie… que Valérie Honnart convoque  au  travers  de  ces  mythologies personnelles, collectives et de ses titres : « Étoiles dansantes / Les ogres / Laver les ombres / Furiosa / Gouffres où siffle le silence / Équilibre instable / Falling stars… ». Les archétypes se succèdent, tiraillés entre le sacré et la « loi » de la gravité au sens de justice, de justesse, de bien fondé et de châtiment. Il y a chez l’artiste, sensible aux écrits d’Emmanuel Levinas, cette même volonté de représenter la « nudité humaine » (6) en son envers et son endroit, avec son obscurité et sa possible rédemption, son imperfection tragique et son désir de s’élever en escaladant un arbre, en gravissant une montagne, en cherchant une île… La peintre fait de sa toile, l’œil du cyclone dans lequel est mise en orbite toute la nature humaine mêlée d’argile et de divin.

Visuel : Tendre forêt 2016, encre de Chine sur soie de Valérie Honnart, 122×90 cm

 

Texte initialement écrit paru lors de l’exposition « Nos Folies »  en 2019 au Fonds d’Art culturel de l’Ermitage pour la collection « Esprit des Vallons » Beaux Arts.

 (1). «Écrits de l’artiste”.

(2). Gaston Bachelard, « La terre et les rêveries de repos ».

(3) Nietzsche, « Ainsi parlait Zarathoustra ».

(4). “Tao-Te-King » Lao Tseu, LXXIII.

(5).  Georges Didi-Huberman, “L’image survivante

 (6). Emmanuel Lévinas, « Totalité et infini » (préface).