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Olga de Amaral la magicienne des fils

Par iris Alter

La dernière exposition de la Fondation Cartier au site du boulevard Raspail fête la grande dame de l’art textile Olga de Amara et s‘offre un beau cadeau d’anniversaire pour les 40 ans de l’institution. A l’âge de 92 ans l’artiste colombienne, une importante pionnière de l’art de la nouvelle Tapisserie ( Fibre Art),  assiste finalement à une pertinence internationale de son travail dans les grands musées du monde entier. Sa première rétrospective européenne qui présente environ 90 œuvres de ses 60 ans de carrière est à voir jusqu’au 16 mars. Cette exposition enchante visiblement le public nombreux, avec une magie toute particulière et inattendue.

On se trouve ici devant des oeuvres en textile suspendues, libérées des murs, parfois monumentales ou tridimensionnelles et sculpturales. En partant d’un tissage plutôt  épais elles deviennent de plus en plus ajourés jusqu’à la libération complète des fils (série Brumes), qui semblent tomber du ciel telle la pluie et danser devant nos yeux avec une légèreté et luminosité poétiques mises en valeur par la transparence totale du bâtiment. L’artiste  s’éloigne progressivement des techniques traditionnelles tissées , tressées , enroulées , nouées etc. en passant par des étapes diverses, atypiques, complexes et sophistiquées. Elle utilise son travail pour émanciper le textile longtemps jugé uniquement décoratif et artisanal et lui donne une place dans les champs de beaux-arts au cours des années 1960 à côté des artistes comme Sheila Hicks, Magdalena Abakanovicz etc. Son travail évoque des pratiques ancestrales et côtoie le dessin et l’architecture, disciplines qu’elle a étudiées à Bogota avant d’apprendre le tissage à l’académie de Cranbrook aux Etats-Unis. Ici règne la philosophie du Bauhaus, moderne et géométrique, transdisciplinaire et expérimentale en contraste total avec les tissages traditionnels de l‘Amerique du Sud. Munie de ces outils variés elle se met à construire une œuvre fusionnelle, spirituelle et mythique, une cohabitation entre le monde naturel, industriel et culturel, la tradition et la modernité, une transcription dans la mémoire collective. Elle dit vouloir « aborder le monde de manière contemporaine».

Elle maîtrise la couleur dans toutes ses variations du monochrome au contraste étonnant en passant par les camaïeux et finalement la dramaturgie de la feuille d’or. Cependant son travail reste toujours d’une luminosité captivante pour laquelle elle n’aurait même pas besoin de faire appel à la capacité éclaircissante de l’or. Par contre l’or lui permet d’ajouter une autre gamme puissante de mise en scène et l’introduction d’une connotation sacrée qui évoque aussi bien l’orfèvrerie précolombienne que les églises baroques dorées de sa  Colombie natale.  Elle l’utilise pour rehausser ses compositions colorées mais également en monochrome sur des œuvres redevenus opaques, parfois torsadées, parfois rigides en inventant des nouvelles techniques. Dans la série Estellas (étoiles/stèles), un grand nombre de stèles à l’allure monumentale, dorées monochromes, elle traite un fond épais tissé et entrelacé avec des couches de gesso puis d’acrylique et finalement  des feuilles d’or qui évoquent des légendes mythiques intemporelles des sites précolombiens. Ces sculptures semblent lier la terre au ciel et aux étoiles, comme indique la double  signification du mot estellas. Le travail aérien redevient ancré dans la terre en prenant une forme sculpturale mais pas sans faire allusion à la dimension céleste avec la luminosité et sacralité de l’or.

Sa fascination pour la nature est présente toute au long de ses créations diverses. Ses séries qui parle des forêts, des falaises, des chutes d’eau, des volcans etc. en témoignent particulièrement. On a l’impression de rentrer directement dans les paysages comme dans l’œuvre monumentale Hojarasca limón ( les feuilles mortes jaune). Ces œuvres ne sont pas seulement pensées comme des paysages, mais l’artiste les conçoit en éléments de paysage même. Son intention de faire entrer l’extérieur dans l’intérieur avec ses œuvres est ici accentuée par l’ouverture complète de l’immeuble vers son jardin au travers de ses panneaux  vitrés. Cela n’est pas sans rappeler le travail de l’architecte Frank Gehry à Bilbao. Son jeux extérieur intérieur dans la conception du musée Guggenheim s’inspire du paysage montagneux autour, prolongé à l’intérieur par la sculpture monumentale de Richard Sera commissionné pour l’endroit.

En résumant je dirais que le travail pionnier de l’artiste colombienne est né du mariage d’une tradition autochtones et de la modernité Bauhaus, une fusion entre design, architecture et l’artisanat du tissage traditionnel de l’Amérique du Sud. Sa grande beauté visuelle fait appel à notre sensibilité tactile et vise à structurer le temps et l’espace en diapason avec la nature.  Sa création a une dimension spirituelle, mythique et sémantique et vise à inscrire  la mémoire ancestrale dans la modernité avec le language matériel et haptique du textile. Mais ce qui est le plus percutant est sa capacité de nous émerveiller et ensorceler avec un travail hors du commun, elle est une vraie  magicienne des fils

Fondation Cartier