Regards

LIRE LOLITA A TEHERAN d’Eran Riklis

Par Chantal Laroche Poupard, SIGNIS France

Inspiré du livre Lire Lolita à Téhéran d’Azar Nafisi publié en 2003, le film montre une société iranienne bridée par des régimes totalitaires où l’on ne perçoit pas de changement en un quart de siècle. Il témoigne du courage et de l’engagement de femmes qui se maintiennent vivantes grâce à leur amour de la littérature et de la liberté.

Le long métrage commence par le retour d’Azar à Téhéran ; comme beaucoup d’exilés, elle revient en Iran en rêvant de jours meilleurs. Elle est pleine d’espoir à la suite de la chute du Shah qui certes est destitué mais remplacé par Khomenei. A peine arrivée, Azar se heurte, dans ses cours à l’université de Téhéran, aux réflexions de certains de ses étudiants soumis aux injonctions islamistes. Le voile et le iquab sont prescrits par l’administration universitaire et Azar, rebelle, vient à l’université sans voile ; elle est renvoyée. Le pouvoir totalitaire de Khomenei est l’incarnation du pouvoir tyrannique ; son portrait est partout, même sur le mur de l’université.

 

Azar entre en résistance en montrant que l’espoir existe et qu’il repose sur le pouvoir des livres avec leur capacité d’émancipation libératrice. Pour protester contre ces lois liberticides, Azar décide de créer un groupe de lecture. Plusieurs femmes se réunissent pour lire et parler d’une littérature interdite en Iran. Certaines femmes vont braver l’autoritarisme de leurs maris qui voient d’un mauvais œil l’échappée de leur femme vers une certaine liberté ; l’une est battue par son mari jaloux des livres. Cependant, un jour par semaine, chacune se fait belle, apporte des fleurs ou des friandises chez la professeure de littérature et toutes vivent un moment exceptionnel de liberté et d’amitié.

Cette résistance littéraire et féministe est interprétée par des comédiennes iraniennes exilées un peu partout dans le monde. Elles sont toutes poignantes et motivées par la soif de lire cette littérature qui les lie et les soude et qui, surtout, les émancipe. La superbe Golshifteh Farahani, qui avait elle-même dû quitter son pays en 2009, offre une interprétation perspicace, subtile, magistrale. Zar Amir Ebrahimi, récompensée en 2022 à Cannes pourLes Nuits de Mashhad d’Ali Abbasi, tient le rôle de Sanaz. Franco-iranienne, actrice, réalisatrice, productrice et directrice de casting, elle interprète ici une femme courageuse, qui intègre le cercle de lecture clandestin après avoir reçu des coups de fouet pour une vie personnelle relativement libre.

Le film est construit en 4 chapitres, suivant la lecture de 4 œuvres littéraires interdites par le régime. Chacun de ces chapitres étant le titre de romans anglo-saxons apportant une réflexion sur la liberté. Azar va se servir de ces œuvres comme source de réflexion : Gasby le magnifique de F.Scott Fitzgerald est le symbole d’espoir d’une vie meilleure ; Lolita de Nabokov fait réfléchir sur ce régime machiste qui considère la femme comme objet ; avec Orgueil et Préjugés de Jane Austen, ces femmes réalisent à quel point ce monde passé britannique suranné ressemble à leur monde actuel, où tout contact ou relation tactile est suspecte ou gênante. Les personnages féminins de Henry James affrontent leur destin et aspirent à la liberté car elles étouffent dans le monde obtus et traditionnel dans lequel elles évoluent. Azar et ses étudiantes comparent leurs vies à celles des héroïnes dont elles étudient le courage et la volonté d’émancipation. La fiction, explique Azar Nafisi, permet de s’ouvrir aux complexités de la vie et nous transforme.

 

Quant à la forme du film, elle présente des va et vient assez fréquents entre le passé et le présent. Les images et les photos du passé montrant des arrestations sont en noir et blanc ; celles du présent sont quasiment les mêmes photos mais en couleur comme pour prouver que rien n’ a vraiment changé. Les teintes sont celles d’un univers triste et morose, excepté, comme un leitmotiv de l’espoir, celles d’un grand angle superbe sur la ville de Téhéran avec ses montagnes enneigées à l’arrière-plan veillant sur cette ville pourtant si belle. De superbes séquences de fondus enchaînés où Azar, enfermée dans son iqab, est assise sur un banc et rêve devant une librairie barricadée, du passé révolu ou d’un futur utopique où des étudiants s’attardent sur la terrasse d’un café par une belle journée d’été.

Eran Riklis, réalisateur israélien fait ici un film universel en s’entourant d’une scénariste américaine Majorie David, d’une directrice de photographie française, Hélène Louvart tandis que l’interprétation est en Anglais et en Farsi, langue de ces comédiennes iraniennes exilées. Ce long métrage poignant rejoint le patrimoine des films iraniens, dénonçant les dangers de l’ obscurantisme, que ce soient les films d’Abbas Kiarostami ou le récent film de Rassoulof, Les Graines du figuier sauvage qui a reçu le prix du Jury œcuménique à Cannes en 2024.

 

LIRE LOLITA A TEHERAN d’Eran Riklis. Israel/Italie,2024,1h47. Avec Golshifteh Farahani, Zar Amir, Mina Kavani.