LA CHRONIQUE GASTRONOMIQUE D’ANTOINE BENOUARD
N°12 Décembre 2022
« Une fourmi parlant français,
Parlant latin et javanais,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Eh ! pourquoi pas ? »
Je vous livre cette chantefable (de Robert Desnos, Chantefables et Chantefleurs,1970) en amuse-bouche de ma chronique, même si Chantefable est aussi et d’abord un genre littéraire médiéval qui combina jadis le vers chanté et la prose récitée. Mais c’est aussi le nom d’une auberge – une ancienne taverne de la fin du XVIIIe siècle qui a traversé le temps –, hors du monde, là-bas, où l’on parle français, latin et javanais, à la façon de la fourmi de Desnos, loin de tout, même si c’est à Paris, XXe, patrie du républicain Gambetta, qui a donné à l’arrondissement dans le même lot une avenue et une place. Chantefable est un endroit rêvé pour les voyageurs (tout repas est un voyage) de Paris (et d’ailleurs) : on s’y recueille, on s’y exile, on s’y dépayse et on y mange agréable et vaguement coquin. Sous la houlette du dynamique Kevin, un des deux directeurs, ce soir-là le restaurant bat son plein. La vision de cet homme jeune dans cet endroit ancien est réjouissante. L’endroit (qui ne manque pas d’envers) contient une grande salle, spacieuse, les miroirs y prospèrent, les lustres y sont magnifiques – même si on n’en identifie pas spontanément la datation –, et surtout il y a aux murs des reproductions de Toulouse-Lautrec qui nous french-cancanent le cœur. La cuisine est à l’avenant : généreuse, bistrotière, insolente, gouailleuse. À côté de nous, une grande famille venue de Rome qui se régale en se séparant des pâtes. Nous, nous commençâmes par deux soupes à l’oignon, bien faites, bien odorantes, bien fromagères. Le plat que je choisis ensuite fut le porcelet rôti entier, tendre, croustillant et réconfortant comme un bon mot, avec ses pommes grenaille en persillade. Mon amie, chroniqueuse de théâtre, qui d’habitude dîne plutôt fin et équilibré, elle, se dévergonda d’une andouillette-frites (mention : « A et quelques ») qui l’enfripouilla quelques minutes. J’ai cru qu’elle allait dire du Racine – Le Théâtre de la Colline n’est pas loin – face aux authentiques miroirs Art-Déco et sous l’impulsion d’un Bourgueil bien senti. Pas de dessert, il ne faut pas déconner, l’estomac réciproque affichant complet. Le tout fut servi non pas par un serveur, encore moins un chef de rang, mais par un garçon de café, sympathique et revêche, en tenue de garçon de café. Il incarnait à lui tout seul, le visage grave et la tenue impeccable, la digne, folle et formidable pérennité de « La Belle Époque ».
CHANTEFABLE, 93 avenue Gambetta, 75020.
Tél. 01 46 36 81 76
Compter plus ou moins 50 euros par personne vin compris.