Ah! Les Filles! Ah! Les Filles!
Par Pascal Aubier
Vous avez probablement remarqué, il y en a beaucoup pour les filles, ces temps-ci. Elles n’ont pas encore réduit toutes les inégalités mas elles avancent vite et bien. Au Cinéma, c’est pareil.
Ces derniers temps ont vu beaucoup de films avec des filles, sur des filles et souvent par des filles. Bravo. Je connais personnellement beaucoup de femmes cinéastes. Au début, en dehors d’Agnès Varda, les réalisatrices venaient surtout des pays de l’Est, comme on disait. Les pays du Bloc Socialiste, de l’autre côté du rideau de Fer. Quelle époque étrange… Mais j’avoue que celle que nous vivons aujourd’hui me semble plus étrange encore et plus méchante.
Je veux dédier ce petit article à mes amies Marta Meszaros (Hongrie), Larissa Chepitko (URSS), Iana Bokova (Tchécoslovaquie), Lana Gogobéridzé (Géorgie URSS), Musi Dora, Julie Bertuccelli, Catherine Corsini, Toni Marshall, Nadine Trintignant (France), Salomé Meschichvili (Georgie), Sofia Coppola (USA) et bien d’autres, beaucoup d’autres, pardonnez si j’ai la mémoire qui flanche…
Aujourd’hui je voudrais vous parler de trois films amoureux des filles : Une Grande Fille,Portrait d’une jeune fille en feu, Atlantique.
Une Grande Fille de Kantemir Balagov, avec Viktoria Miroshnichenko, Vasilisa Perelygina…
L ‘Amoureux ici est un garçon. Russe. Et transporté par le cinéma dans la tradition exceptionnelle des grands du Cinéma Soviétique. Un cinéma qui nous transporte dans un monde où, bien à l’opposé de ce que nous produisons de ce côté-ci des Vosges, nous fait rencontrer et aimer des personnages non glamour, brutes de décoffrage, animés et ici surtout animées par des femmes simplement ahurissantes. Choisies avec beaucoup de cœur, de finesse et de sublimation encore plus que de compassion comme le thème du film nous entraîne avec beaucoup de ferveur.
De quoi s’agit-il ? A la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, dans la région de Leningrad qui vient de subir un siège de 900 jours, les rescapés, les estropiés, les marqués vont refaire partir le pays exsangue. Dans la tourmente générale, deux anciennes combattantes se retrouvent. Mais pas n’importe comment. L’une est repartie au Front, vers l’Allemagne qui saigne enfin et l’autre est restée pour faire l’infirmière et… pour soigner ses crises de tétanie. Crises étranges, qui l’arrêtent au milieu d’un geste ou d’un mot, qui la figent et la rendent insensible au monde qui l’entoure. Elle est grande, très grande et sa beauté particulière effraie plutôt qu’elle ne séduit. Elle s’occupe d’un petit garçon de deux ans à peine, que lui a laissé son amie avant de repartir au front. Il l’appelle maman, ils rient, elle le fait vivre, mais alors qu’ils sont en train de jouer et de s’embrasser survient la tétanie. La Grande Fille serre le petit garçon dans ses bras et l’étouffe. Sans rien comprendre. Il est mort. Mort le tout petit. Et sa mère qui revient de la guerre… L’amitié de ces deux jeunes, très jeunes femmes les a soudées. La mère finit par comprendre l’horreur. Mais au lieu de condamner son amie meurtrière, elle la somme de lui refaire un enfant. Elle-même, abusée par la guerre, par ce que l’on va découvrir bientôt, ne peut plus en avoir.
À partir de là on a film étonnant. La relation de ces femmes entre elles et la relation qu’elles ont avec leur société. Trouver un homme qui va accepter de fertiliser la Grande Fille – nous sommes en URSS en 1945, ce genre de chose n’est pas recevable, elle est gravement condamnable. Trou noir. Ce n’est pas tout, la vie continue avec ses béquilles. Un jeune homme, un puceau qui souhaite faire fonctionner son petit robinet. Ce n’est pas simple pour ces jeunes gens. D’autant que le jeune homme est un enfant d’apparatchiks bien installés, avec un père muet et une mère brillante et belle. Et qui parle. Et qui stigmatise la jeune mère en devenir grâce à son amie. Qui insinue qu’elle a peut-être servi de fille à soldats au front. Comme si c’était normal. Légitime. La jeune femme — Macha — surenchérit, oui, oui, elle s’est faite baiser par des régiments entiers. Elle quitte la table de cette bonne famille. Suivie du fils qui ne supporte plus le point de vue de père et mère. Et puis quoi ?
Vous allez voir le film, si bien filmé, dirigé de si bonne manière. Je n’ai pas l’habitude de « raconter » ici les films que je vous recommande. Les filles sont géniales et les autres aussi. Et les décors et le cœur, le cœur. C’est un bon organe pour le cinéma.
Imaginez comment Macha serre son amie dans ses bras pendant qu’elle se fait baiser par le donneur désespéré. Comment Iya va retourner voir cet homme quand elle s’aperçoit qu’il ne l’a pas mise enceinte, qui à genoux dans son bureau, se déshabille et s’offre à nouveau dans toute sa honte.
Oui ce film est réalisé par un homme qui aime les femmes.
Allez-y vite !
Portrait d’une jeune fille en feu de Céline Sciamma, avec Noémie Merlant, Adèle Haenel
Ici, c’est une femme qui aime les femmes qui met en scène cette histoire d’amour entre une jeune peintre et son modèle. Nous sommes au XVIIIe siècle, le soin avec lequel cette époque est rendue, les costumes, l’éclairage très achevé, les demi teintes, les chandelles nous plongent « dans le bain » avec beaucoup de talent. Et les comédiennes sont superbes. Mais quelque chose manque. Manque terriblement. La sensualité, le désir sont à peine effleurés. Oui, elles se regardent, oui elles s’embrassent sur la bouche, oui elles couchent ensemble, mais l’émotion est contenue. On ne sent pas l’amour. Que ce soit l’amour de deux femmes l’une pour l’autre ou l’amour de n’importe qui pour n’importe qui, cet amour doit nous transporter, nous animer. Un excès de pudeur ? Je ne crois pas. Il y a des moments très beaux, très osés et humains. Le modèle, Héloïse (Adèle Haenel), souhaite avoir un portrait de son amoureuse, Marianne (Noémie Merlant). Le peintre place un miroir rond sur l’entre cuisses de la belle Héloïse, et peint son visage qui s’y reflète. Oui, c’est très beau. Symbolique et beau. Mais cela n’a jamais la force ni la sensualité de La Vie d’Adèle. Adèle Exarchopoulos et Léa Seydou étaient dirigées par un homme probablement amoureux lui aussi des femmes. Que dire donc ? Pour moi le cinéma n’a pas de genre. De toute façon tous les genres sont de bons genres. Le cinéma est un support à l’amour. J’aurais aimé un amour un peu plus « palpable » dans le film de Céline Sciamma qui nous annonce une jeune fille en feu.
Oui, à la fin le feu surgit dans le dernier et magnifique plan où Adèle Haenel exprime tout ce qu’elle a du refouler en écoutant à l’Opéra de Milan « l’été » des Quatre Saisons de Vivaldi. Le talent de l’actrice et celui de la réalisatrice se fondent dans leurs deux apogées. La c’est sublime. Merci les filles.
Atlantique de Mati Diop avec Mama Sané, Ibrahima Traoré
Mati Diop est la fille du musicien Wasis Diop et la nièce de mon vieil ami cinéaste Sénégalais Djibril Diop Mambeti, le réalisateur, on s’en souvient, de Touki Bouki, Sa maman est Française. Djibril a disparu il y longtemps ce qui m’a rendu très triste. Qu’est-ce qu’on riait ensemble… Je n’ai pas pour habitude de signaler mes amitiés ou mes amours, mais j’ai voulu rendre hommage aux Diop, à tous les Diop, à cette famille d’artistes qui vient de nous donner ce si beau fleuron, Mati Diop. Je ne la connais pas encore, je viens juste de voir son film qui m’a ému profondément. Voici une fille qui aime les filles — et les garçons, ça n’empêche pas — et qui les filme à la fois avec acuité et tendresse. Une tendresse énorme. Son sujet est à la fois terrible et étrangement réconfortant. Chaque année, des jeunes garçons s’embarquent sur des bateaux de fortune dans l’espoir de l’Europe où tout semble plus simple, plus attirant, plus riche. Beaucoup en meurent. La mer, l’Atlantique les avale. Au pays restent les filles, leurs amoureuses.
Ada n’a pas vingt ans, elle aime Suleyman qui travaille sur un chantier. Le chantier a arrêté de payer ses ouvriers. L’exil semble une solution. D’autant qu’Ada a été promise à un autre homme, riche lui. Ada ne se remet pas du départ de Suleyman qui n’a même pas eu le courage de lui dire au revoir. Le film, très ancré dans le réel, dans la ville de Dakar et dans la vie des jeunes gens, fait pratiquement figure de documentaire. Il m’a d’ailleurs beaucoup plu d’entende Mati Diop revendiquer l’absence de frontière entre fiction et documentaire. Le cinéma c’est l’œil, le point de vue de son — ou ses — auteurs. Documentaire ou fiction c’est lui — ou elle — qui choisit ce qu’il veut dire, montrer, dénoncer ou encenser. Et la beauté ici, c’est l’inextricable enchevêtrement du réel et de l’imaginaire, du présent brutal et de la tradition qui sait adoucir les arrêtes trop dures du réel-réel. Les Djinns se mêlent à la vie tentent de réparer ce qui épuise les cœurs. Le fantôme de Suleyman qu’on sait noyé au fond de l’océan, surgit et vient retrouver son Ada toujours vierge pour lui faire l’amour. Il lui envoie même un rendez-vous par SMS sur son portable, on n’est pas au Moyen Âge tout de même. On est bien heureux de ces retrouvailles. Même si éphémères…
Mati Diop a l’étoffe d’une super cinéaste. Elle est de surcroît belle comme tout. L’Afrique est fière, la France aussi et je suis fier également.
Dépêchez-vous d’aller voir cette balade amoureuse dans le vent de l’Atlantique et nimbée d’une poussière dorée qui est celle de Dakar. Œuvre collective, comme tout film qui réunit et fait résonner tant de talents divers. Admiration pour les acteurs qui n’en sont pas. C’est comme s’ils vivaient leur propre histoire. Une mention particulière pour Ael D’Allier Véga, monteuse de haut vol qui a étudié le Cinéma à Cuba qui est presque l’Afrique, le film a l’air cousu dans des fils d’or eux aussi… Merci. Bravo les filles ! L’oncle est sûrement ravi, où qu’il soit…
Atlantique a eu le Grand Prix à Cannes cette année !