Alexandre Holan. Le mystère c’est : que vois-je ?
Par Olivier de Champris
Nous avons retrouvé Alexandre Hollan lors de son exposition à la galerie La Forest Divonne le 6 février 2020.
Ce sont 25 ans de collaboration entre l’artiste et la galerie qui sont célébrés dans ce parcours : un vaste ensemble qui regroupe la diversité d’œuvres, néanmoins toutes réalisées en 2019. Cela inclut des aquarelles sur papier, des acryliques sur toile ou sur papier, et des fusains sur papier. Le tout accroché dans un esprit d’installation, les petits formats étant regroupés parfois en triptyque, parfois en damiers aérés. On retrouve les deux thèmes récurrents de l’artiste, thèmes livrés à une déclinaison sans pareil : d’une part, l’arbre, et même précisément un certain chêne dans le Midi, et, d’autre part, les ustensiles de la vie ordinaire.
D ’emblée, l’artiste va à l’essentiel. Il nous emmène tout droit dans la profondeur de sa recherche, un questionnement sur l’être et les choses, au cœur d’une quête existentielle sur le rapport à la matière, aux éléments, à la lumière. A la vie.
O.C. : Lorsque je vous ai rencontré, il y a 20 ans, vous vous intéressiez à un dessin évanescent, vaporeux, aux masses et à leurs passages, aux rapports nucléaires de l’arbre, du vent, du ciel et de la lumière. Un travail que l’on retrouve toujours aujourd’hui.
A.H. : La vie passe vite et il faut vite découvrir ce qu’elle est. J’essaie d’être plus actif dans mon questionnement ; au fond, est-ce que je vois quelque chose ? Je suis devant un arbre ou devant une vie silencieuse et je ne sais si cette image m’intéresse ou pas, si elle est vivante ou si c’est seulement une idée fixe et j’essaie d’émerger de cet aveuglement ou de cette immobilité. Donc j’essaie de voir comment la vie bouge.
O.C. : Vous semblez avoir élargi votre recherche en direction d’une structuration de l’espace, vous semblez porter plus d’attention à une élaboration analytique – l’énergie, la découverte de spirales dans l’arbre – et de ce fait vousamplifiez le rôle du temps dans l’œuvre plastique. La diversité dont rend compte l’exposition de votre travail depuis un an donne l’impression que vous arrivez à une synthèse.
A.H. : Je vois que de plus en plus tout est complexe. Je sentais depuis très longtemps que tout se passe entre la forme et le vide, que l’espace est uni. Mais qu’unit-il ? Il unit un monde très fort, très dur, très solide avec un monde qui nous échappe constamment ; et, dans ce drame entre les deux, il y a le mouvement de l’espace. Comment tout cela peut vivre ensemble, c’est cela ma question : j’interroge le monde visible. J’aimerais bien qu’il m’aide à voir comment un arbre se défend contre le vent, comment il se replie sur soi pour tenir debout et comment à la fois, il peut se fondre, il peut se laisser traverser par le vent. Et aussi j’aimerais sentir comment cette infinie vastitude peut traverser un monde tellement fixe qui est le monde de la réalité que nous percevons si facilement, la réalité qui nous parait fixe parce que sans vie. Cette question se pose de deux façons supplémentaires, la couleur et les formes inanimées, parce que dans les arbres le monde parait dynamique. Quand l’hiver vient je rentre à Paris, il n’y a plus d’arbre pour m’accompagner. Il y a le monde des vies silencieuses, des objets qui se cherchent, qui se retrouvent parfois par des affinités, par une relation.
O.C. : Les vies silencieuses, ce sont des peintures d’objets, que le Français nomme étrangement « natures mortes ». En les appelant stilleven les hollandais de 1650 sonnent plus juste. Vous les intitulez vies silencieuses, traduction par transposition qui transcende les « natures inanimées » de Diderot, ce qui renverse tout côté délétère et dépasse même la quiétude ou la tranquillité : vous évoquez, de facto, une dimension ondulatoire, une qualité sonore extrême. Et même la dimension corpusculaire de la lumière.
A.H. : Les vies silencieuses, comme je les appelle, ont cette lenteur, ce rayonnement invisible. Ce monde lent parle par rayonnement, rayonnement lumineux. Celui-ci n’apparait que très rarement dans le monde de la matière. C’est donc un travail extrêmement patient et lent, qui complète le précédent. Il faut longtemps chercher les formes qui se correspondent, qui s’attirent l’une l’autre, quels sont les matériaux, les couleurs dont ce monde inanimé cherche à être reposé, animé par une installation même. Et après, dans cette installation, on sent que tout d’un coup, une couleur change parce qu’une autre arrive à côté, et cette autre couleur fait bouger celle qui dormait dans la première. Cela crée un monde d’un merveilleux mystère.
OC : Le mystère du silence, du temps et de l’espace, le mystère de la lumière. Le mystère au cœur de la création, de l’art ?
AH : Le mystère c’est : que vois-je ?
OC : Entre les dessins et les peintures, la valeur et la couleur,pour vous il y a deux univers. L’un plus clos, l’autre aérien.
AH : C’est l’hiver et l’été, c’est inspirer, expirer. Être inspiré ou expirer. Se taire ou parler.
La peinture d’Alexandre Hollan est, au premier sens du mot, poésie. Il crée. Et, ce faisant, avec la douceur d’un sage au sourire apaisant, discrètement, délicatement, insuffle un surcroît de vie dans le maelström de ce monde. Il retrouvera ses saisons en recouvrant la raison.
- Une voie sûre et claire : regarder, contempler l’œuvre de Hollan le vivant.
- Jusqu’au 25 mai 2020