Anselm Kiefer
Par Henri-Hugues Lejeune
« Voilà un très grand artiste dont vous avez la possibilité de contempler une superbe exposition, c’est un devoir et un plaisir d’aller la voir. Courez-y donc. »
Ce devrait en être assez de la part d’un critique en qui il aurait confiance, pour décider son lecteur fidèle, le dispensant ainsi d’une tâche bien difficile.
Cela ne suffit hélas pas, même pour le dit critique qui doit se justifier pour son propre compte du choc qu’il ressent et y voir plus clair de toute façon.
Car le fait est qu’il n’est jamais facile de prendre parti au sujet d’un artiste allemand de quelque importance.
Les créateurs de ce pays sont gens encombrants; ils exigent à chaque pas de qui les regarde une reddition complète, une capitulation générale. Ils nous provoquent, nous mettent en face de toutes sortes de questions posées, de problèmes qui s’enchaînent les uns aux autres.
L’Allemagne n’est pas pour rien la terre natale de la « weltanschauung », la conception du monde, qui en ouvre à l’infini les perspectives. Là se situe le palais de la Belle au Bois Dormant où sommeille la Métaphysique, princesse oubliée en attente des jours meilleurs.
Pourquoi donc l’art en Allemagne, dans sa quête, son expression, prend-il quasi nécessairement une ferveur et une volonté de puissance qui revêtent si facilement, suggèrent au moins une impression d’intransigeance voire de brutalité? Songez par exemple comme à l’impressionnisme ils répondirent rapidement par la brutalité de l’expressionnisme, affirmation de sentiments comme pour opposer à la vision colorée du monde la convulsion et la violence de la condition humaine.
Leurs mouvements, leurs écoles artistiques font figure de congrégations voire de monastères, car ils ont volontiers tendance à les vivre en commun, voire les uns avec les autres en quelque rêveuse île de Baltique (Worpswede), ou voyez le Bauhaus.
En d’autres temps, en autres matières, ne nous a-t-on pas sommés de choisir entre Marx et Nietzsche, entre Freud et Jung.
A tous leurs descendants en est-il resté quelque chose?
A peine Beuys a-t-il replié ses ailes que surgit son disciple Anselm Kiefer qui
depuis 1970 étend son univers torturé et passionnant.
Et que vous semble-t-il de Richter face à lui?
Qu’avez-vous à dire en réponse aux énigmes qu’ils nous imposent?
Allez à tout prix rêver dans la grande galerie de Pompidou, au cœur de son exposition, dans cette série de grandes – naturellement grandes! – boîtes, un peu figurées comme des aquariums où se résument tant de questions de réponses ou de prophéties, si l’on veut relatives à notre pauvre destinée d’humains.
Il est tant de questions tellement plus passionnantes que les réponses un peu balbutiantes qu’on pourrait imaginer leur trouver!
Du moins de tels artistes nous dispensent-ils avec profusion la possibilité de les rêver?
C’est là la seule certitude dont je puisse vous assurer: Kiefer vous mène dans ces régions.
Centre Pompidou
16 décembre 2015 – 18 avril 2016