Chronique n°1 d’Alain Pusel
D’un laurier rose à une Apparition
Lourmarin est écrasé sous la chaleur. Cet été, au mois d’août.
Le penseur de l’absurde et de la révolte gît dans le petit cimetière, sa femme Francine repose à ses côtés, à sa gauche. Un laurier rose a envahi la tombe de Camus et s’épanouit. Que penserait-il de cette rentrée ? Après l’Etranger, après La Peste, il avait ensuite esquissé un troisième cycle, ouvrant sur l’amour, avec Le Premier Homme, resté inachevé.
Donald le tweeter fou veut poursuivre son rêve américain très autocentré, son copain Vladimir le judoka aurait encore tapé dans l’armoire à pharmacie pour soigner un dissident ; quels artistes exposés en ce moment pour accompagner ces deux grands humanistes ?
Au musée d’Orsay, James Tissot, après les portraits élégants, si soignés, de belles londoniennes, voit son cœur se briser ; son amante Kathleen meurt, alors que pour toujours, saisie par son compagnon, elle tourne vers nous sa grâce mutine sous les marronniers de l’automne. Il essaiera de l’approcher dans l’au-delà, via des séances de spiritisme. L’amour, à poursuivre, à rattraper. Loin des coiffures de Trump et des flacons de Poutine.
Il a vraiment une vision de l’aimée ; il la peint – et c’est troublant, aux côtés du maître spirite, tous les deux habillés de voiles blancs, avec une lumière irradiante émanant de leurs mains, de leur poitrine et Kathleen a un visage doux et confiant. Cette Apparition médiumnique est totalement saisissante. Hallucination ? Rêve ? Vision confondante ? Tissot éprouve sans doute le même espoir et la même douleur qu’Orphée. Le peintre des élégances se consacrera bientôt à peindre et dessiner La vie du Christ – ce peintre des divertissements et des robes de bal londoniennes devient l’apôtre humble et méticuleux du Nouveau Testament. La tunique de Jésus éclipse les tenues de soirée.
James Tissot n’est donc pas le peintre des frivolités, et les visages et les scènes de la vie sociale sur lesquels il s’interrogeait deviennent des figures de piété et des narrations de prosélyte.
Est-ce que le maître du Kremlin et l’ogre du Bureau Ovale découvriront un jour le temps de l’humilité ?
Ce temps de l’humilité, du courage et de la ferveur à partager au musée de Montmartre : Otto Freundlich y mène une aventure de l’art singulière et précieuse, chemine avec sensibilité et droiture vers les possibilités de l’abstraction. Les Nazis, d’un naturel farceur, se chargent concrètement de sa mort dans le camp de Sodibor en 1943. « La vérité qui est à la base de tous nos efforts artistiques est éternelle et conservera sa grande importance pour l’avenir de l’humanité » avait-il écrit, en toute prémonition pour notre monde de 2020. Sans doute pour un avenir qui dure longtemps.
Albert Camus, James Tissot, Otto Freundlich : lorsque des artistes au travail sincère, nous offrent dans leurs doutes, leurs joies et leurs peines lignes et couleurs tout droit sorties du cœur, alors oui, ce sont des alliés et des guides qui importent plus que les Leaders actuels du Monde cuits en leur cynisme.
Soyons à l’écoute et des marronniers de l’automne et des lauriers rose de Provence – cheminons avec Otto Freundlich, ce pionnier intègre et courageux.
- Musée Orsay – James Tissot, l’ambigu moderne – 23 juin au 13 septembre 2020 –
- Musée de Montmartre – Otto Freundlich – 28 février 2020 au 31 janvier 2021 –