Regards

Chronique n°5 d’Alain Pusel

En aller, en retour vers les baltiques, 1

En 2017, le Petit Palais présentait une rétrospective du peintre et graveur Anders Zorn (1) (1860 – 1920), dont le talent d’aquarelliste resplendissait sur les autobus de la ville, arborant son œuvre « Vacances d’été », l’affiche de l’exposition. Une femme en robe blanche légèrement soulevée par le vent, attend sur un ponton de bois, de profil, se penche légèrement alors qu’arrive un homme en barque et que le ciel roule tous ses gris à l’arrière- plan d’un ciel qui vibre. Le plus incroyable était le rendu du mouvement de l’eau – les ondulations naturalistes par le brio de l’artiste donnaient envie de laisser filer les doigts sur son travail pour en goûter la fraîcheur. Zorn a été un artiste cosmopolite, réputé fin du 20ème siècle pour ses portraits, aussi élégants que ceux de Boldini ou Sargent, de la bourgeoisie parisienne, londonienne et américaine. Fortune assurée et réputation faite, il retourna vivre en sa patrie pour mettre plastiquement à l’honneur – partie pour nous la moins intéressante de son œuvre – les us de la Suède traditionnelle ; danse folklorique en exergue. Enfin, dans les dernières années, les braises de la création attisent sa flamme des nus et des baigneuses, qui refondent alors son art de peindre et son art de vivre. Contrairement à un Renoir, ses modèles sont athlétiques et la peau de ses gracieuses athlètes requièrent son attention pleine et entière. Ah… L’érotisme des vieux peintres.

Tomas Tranströmer (1931 – 2015), Prix Nobel de littérature en 2011, manie une prose sèche qui dit précisément les variations de la nature, à travers un pays recouvert de forêts, d’îles et de lacs.

Sous le point immobile de l’épave qui tournoie,

L’océan s’ébroue et gronde dans la lumière,

Ronge aveuglément son frein d’herbes marines et souffle

De l’écume sur le littoral

 

La terre se couvre d’une obscurité que les chauves-souris

Mesurent. L’épave s’immobilise et se charge en étoile.

L’océan avance en tonnant et souffle de l’écume sur le

littoral. (2)

Le peintre, le poète…

Ces artistes de la baltique nous ont-ils rendu visite ?

Anders est venu en 1888 à Paris et y est resté plusieurs années ; en plus des portraits il est l’auteur de nombreuses estampes ; 212 sont présentes au catalogue de la Bibliothèque Nationale de France, indique le dossier de presse du Petit Palais.

En revanche, un siècle après, Tranströmer était quasiment inconnu le jour de sa nobélisation, alors que c’est le poète suédois le plus notoire du 20ème siècle.

Le public français a plus d’affection et de penchant pour l’auteur de Millenium, Stieg Larsson, et pour Lisbeth Salander, l’inoubliable héroïne de sa trilogie : bisexuelle, hackeuse et résiliente. Elle habite désormais nos fantasmes et notre imaginaire avec son grand dragon tatoué, ils ont bien voyagé dans le sens Stockholm- Paris.

Redonnons la parole au poète, génie du lieu :

« (…) j’ai hérité d’une sombre forêt où je me rends rarement. Mais un jour, les morts et les vivants changeront de place. Alors la forêt se mettra en marche. Nous ne sommes pas sans espoir. Les plus grands crimes restent inexpliqués, malgré l’action de toutes les polices. Il y a également, quelque part dans notre vie, un immense amour qui reste inexpliqué. J’ai hérité d’une sombre forêt, mais je vais aujourd’hui dans une autre forêt toute baignée de lumière. Tout ce qui vit, chante, remue, rampe et frétille ! C’est le printemps et l’air est enivrant. Je suis diplômé de l’université de l’oubli et j’ai les mains aussi vides qu’une chemise sur une corde à linge. » (3)

En quoi ce nord aimante-t-il notre nature ; alors que nous pensions solidement établi, à la suite de Freud, que « notre cœur tend vers le sud » ?

Cette propension peut-elle être entamée, faillir, devant l’appel de ce nord ?  De ces sévères baltiques ? Notre cœur peut-il être indifférent aux paroles poignantes d’un autre personnage de polar, vieillissant et inquiet, le commissaire Wallander, qui perd le fil de ses enquêtes et de sa mémoire.

« Il était trop tard maintenant. La plupart de ceux qu’il avait pu compter parmi ses proches étaient morts. Rydberg avant tout, mais aussi son vieil ami, Sten Widén, l’éleveur de chevaux de courses. Wallander n’avait jamais compris ceux qui prétendaient que la relation avec les gens qu’on aimait se poursuivait au-delà de la mort. Pour sa part il n’avait jamais réussi à la prolonger. Les morts étaient pour lui des visages dont il se souvenait à peine et leurs voix ne lui parlaient plus » (4)

Poursuivons plus au nord.

Nous empruntons le pont de l’Oresund pour rejoindre Malmö. Ça commence par une montée jusqu’à près de 60 mètres au-dessus de la mer, par une impression de gigantisme, jusqu’à la descente en eaux troubles.

(à suivre)

  1. Anders Zorn, le Maître de la peinture suédoise, du 15/09 au 17/12/2017
  2. Tomas Tranströmer, dans Ostinato, Baltiques, Poésie-Gallimard, 2004, p.28
  3. Idem, dans Madrigal, p. 294
  4. Henning Mankell, L’homme inquiet, Le Point-Seuil, 2010, p.154