Chronique numéro 26 – Alain Pusel
Fin août début septembre
C’est aussi le titre d’un film de Olivier Assayas, avec un Mathieu Almaric résolument juvénile et une Jeanne Balibar décidément sophistiquée. Il est question de rupture, difficile, de déménagement et de regrets.
L’écume de l’amour a épuisé le sable, perdue en tous ses grains.
Grains de beauté en beauté sur la plage, soupçon d’inquiétude ; la beauté peut tourner au danger, l’attente au désœuvrement, l’envie aux agitations.
Déjà l’automne serpente dans ses nuages et dans nos peurs.
Pourtant, nous n’avions pas rêvé, pourtant, elle était là, dès le réveil :
« Quoi ? – l’Eternité.
C’est la mer mêlée
Au soleil. » (1)
L’été, l’espoir, le désir, le goût qui nous revient : sel de la mer, embruns, horizon si lointain.
Tout est là, à portée de la main et tout est repoussé, ô joie, vers une ligne vibrante.
Entre le ciel et l’eau s’étire promesses à venir et matinées de l’entrain –
Août comme une pâte à lever, au levain des matins rieurs et tranquilles ;
Septembre comme une vieille recette bien cachée sous le sable.
Nous avons été paisibles.
Nous avons bien tout oublié. Comme l’autrefois.
Aveuglement merveilleux.
Insouciance ravissante.
Tête posée à côté du barbecue, qui attend minute après minute, degré après degré, brochette après brochette,
Que l’esprit sombre y revienne.
J’ai fait la saison
Dans cette boite crânienne
Tes pensées, je les faisais miennes
T’accaparer, seulement t’accaparer (2)
Oh oui le ressentir, l’éprouver :
« Quoi ? – l’Eternité
C’est la mer mêlée
Au soleil. »
Faire sienne cette douce beauté du soir.
Faire sien cet air doux de la nuit.
Le matin, comme le premier, s’étirer, repousser, reposer la tête sur une pierre dans le jardin.
Retourner voir l’amicale tension du lointain, dans la rumeur des vagues.
Les chevilles auréolées d’écume, le sable saupoudrant ensuite le coup de pied.
La belle parenthèse.
Ce bleu du ciel si clair bascule fin août, début septembre, déjà un autre bleu surgit ;
L’esprit a repris corps dans cette tête qui a quitté du jardin, la pierre.
J’envisage le bleu profond, le bleu nuit, les images dans ma tête –
L’été, l’infinie clarté, les limites repoussées, les craintes abolies, s’évapore ;
Pour bientôt, bien trop vite, laisser place, laisser venir, laisser revenir
Des jours qui heurtent, des heures qui marquent, des instants qui étreignent le cœur
Soudain si lourd.
Soudain le bleu qui frissonne remplace le bleu qui éblouit.
C’est l’automne. Les arbres prennent peur. Les feuilles tremblent.
Nous mourons chaque jour à nous-mêmes, nous déclinons du lever au couchant.
Nous sommes de simples hommes, le rôti de nos peaux s’éclaircit en une ambiance cuivre.
L’automne est le temps des brièvetés. La cruauté de septembre, la douleur d’octobre sont en marche.
« Mon travail était affreux, mais parfois exaltant dans l’ivresse du rêve. Je ne m’absentais que pour lui, sinon je restais sur ma terrasse et attendait le coucher du soleil.
Mon travail consistait à éliminer, ce qui me convenait : j’aime le vide. Et puis cette construction se dérégla. » (3)
Nos humeurs vont devenir incertaines, nos résolutions bien minces.
Les enfants veulent jeter leur cartable au feu.
Et nous, comment faire le deuil de la dernière Saint-Jean…
Nous mourons à nous-mêmes, les ongles accrochés au balcon, les pleurs collés à nos paupières.
Les dernières cartes postales grelotent sur la porte du réfrigérateur.
Le bleu nuit, c’est le bleu de la mort, du charnier du colonel Chabert aux récits criminels de Jacques Monory.
« Elle était luxueuse. Elle prenait possession de mon cerveau ? Quand vont-ils là-bas découvrir le cadavre ? J’étais épuisé. Je m’allongeai sur une banquette, mon bagage sous la tête et m’endormis. Mes rêves sont d’imperceptibles décalages de ma vie vécue ; ou plus justement peut-être, ma vie vécue est la décalcomanie de ma vie rêvée. » (4)
Le bleu des tableaux de Monory qui respire un air froid que vous percevez sur votre nuque.
Des balles de revolver. Un chapeau. Des lunettes noires.
Quelques remuements, éclats saillants avant l’engourdissement de l’hiver.
Avant la torpeur.
Avec parfois le souvenir, hors-cadre, de la mer allée avec le soleil, dans le flamboiement de ce dernier qui s’abîme dans la masse étale de liquide. Etendue hors-norme.
Là, devant vous, les soubresauts de septembre. Devenant octobre. Une révolution ; jamais cela ne cesse. Echo du feu de la mer en été, le soleil se sacrifie pour que vous imaginiez l’éternité.
« Quand elle me reconnut, elle ne fut effrayée qu’un instant. Je la regardai – elle vit que j’étais ailleurs. (…) Je l’embrassai légèrement sur la bouche et m’en allai en dansant davantage.
Maintenant, je fais des aquarelles de nuages. » (5)
Toujours le ciel et la terre, la mer et les nuages.
La terre – nous y reprenons pied, le ciel nous y accrochons nos rêves, le nez en l’air.
La mer, mouvante et serrée, tout près du cœur et envahissant la boîte crânienne de l’été prochain.
Les nuages, légers, messagers de l’azur ; lourds, colporteurs du ciel gris de l’automne.
Enfin, il nous reste ad vitam aeternam à envoyer nos pensées vers ceux qui ne sont plus.
La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse,
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,
Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.
Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs (6)
- (1) Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, 1873
- (2) Alain Bashung, La nuit je mens, 1998
- (3) Jacques Monory, Angèle, Editions Galilée, 2005, p.14
- (4) Idem, p. 27
- (5) Idem, p. 46
- (6) Charles Baudelaire, La servante au grand cœur, 1843
Photographie : arearevue)s( numéro 7, p.62-63, 2004