Incandescences, Eva David
Par Cyb, peintre
L’absence comme offrande
D’abord il y eut l’envol des grands oiseaux : un envol de corbeaux peut-être _ ou d’aigles ?-, avec le bruissement des ailes, et l’au-delà du vol, un espace au-delà du regard. La force et la stridence de cet envol m’avaient arrêtée, comme la stridence et les percussions dans la quatrième symphonie de Chostakovitch, tout au début : un monde s’ouvre.
D’abord il y eut un arrêt, le regard happé par l’or et les ailes noires, signes d’un au-delà qui appelle, qui étire vers le haut. Le souffle d’un grand vent, le tourbillon d’une nature au dernier jour, comme dans le dernier tableau de Van Gogh : voilà le premier souvenir de la peinture d’Eva David.
Un rouleau déplié, tel une partition de musique géante présentée au mur, qui s’achève dans un silence méditatif. Car pourquoi écrit-on la musique, sinon pour soustraire le chaos au monde, et pour faire entendre l’harmonie d’un autre monde ? Pourquoi devient-on peintre sinon pour faire silence des images qui distraient, pour apercevoir sous les images, le squelette des choses, leur espace intime ? Entendre le silence, voir l’invisible.
La musique de Bach articule Eva David de l’intérieur, et la splendeur des icônes a rythmé son apprentissage de peintre. Nous parlons ensemble de la crypte de la Cathédrale Alexandre-Nevski à Sofia : les rouges vermillon stridents des icônes du XIVème siècle qui y séjournent. Ce lieu de profond apaisement, un lieu d’intensité et de prière, se situe dans la Capitale bulgare, non loin du musée national qui abrite les œuvres du père d’Eva David, le peintre David Peretz.
Nous parlons de la petite église de Boyana, aux environs de Sofia. Ses fresques exceptionnelles du XIIIème siècle furent classées au Patrimoine mondial dès 1979. L’émoi au regard de ces voûtes peintes reste, et nourrit le geste d’un peintre. Les verts opalescents et les bleus, le rouge orangé et l’or, habitent les murs comme des icônes géantes qui repousseraient les parois, les cloisons, toutes les cloisons : une idée de la Résurrection.
L’église de Boyana peinte dans la tradition orthodoxe, une cinquantaine d’années avant la Chapelle des Scrovegni à Padoue, précède donc l’œuvre de Giotto et son bleu incandescent_ chanté par Proust et tant d’artistes. Certains lieux agissent en nous. Le grand Christ qui brise les portes de l’enfer, à droite _sur le mur_ d’une Crucifixion, comment pourrait-on l’oublier ? Il marche sur la mort comme il a marché sur les eaux. Tout un tas de clés éparses au sol atteste la violence du combat. Pourtant il se dresse souverain et relie comme deux îlots qui forment une mandorle, l’Ancien et le Nouveau Testament.
La Résurrection, l’énergie qui agit dans ces fresques, soufflent une énergie à l’artiste, venue d’ailleurs, le traversent. Quand Eva David peint, quand elle écrit, elle est traversée. La Thrace, nom ancien de l’actuelle Bulgarie, renferme dans ses monts Rhodopes, massif des Balkans, le lieu où Orphée perdit son Eurydice, la béance de la perte. Perdre, et faire œuvre. Ce qui rend possible la création, c’est la prière.
Eva DAVID, « Incandescences »
Aphorismes & photographies
Area-Paris, éditeur, septembre 2018
Exposition du 18/10 au 13/11
Galerie Area, 39 rue Volta, 75003 Paris