Le monde fantastique de Diego Giacometti
Galerie Charpentier (Sotheby’s)
Cette exposition n’a duré qu’un clin d’œil ; aussi ne saurait-il être question de venir la voir mais bien de signaler l’existence d’un grand artiste du XXe siècle, aussi étonnant et attachant qu’il a toujours été discret pour ne pas dire secret.
Il faut aussi employer des mots justes: le titre de Sotheby’s ne convient pas, il ne s’agit pas d’un monde fantastique, il s’agit du nôtre, très proche, quasi-familier, celui de La Fontaine peut-être s’il était revenu parmi nous. Onirique certes ; j’aimerais dire un monde féérique ; familièrement féérique, rejoint avec une simplicité de moyens absolue, une féérie d’être, tellement souriante et d’une bienfaisante ironie.
Je n’en veux pour preuve que ce mince chef d’œuvre d’un rat, d’une souris plutôt, grandeur nature ou presque, en adoration devant l’idole représentée par une tête de chat hiératique et malfaisante, à respectueuse distance.
Le tout mesure quarante centimètres, c’est passablement voltairien d’inspiration, ne fait de mal à personne mais dit bien ce qu’il veut dire.
L’ensemble de l’œuvre représenté était d’une sobriété de conception et de matériaux absolues : du fer forgé amené à une simplicité classique dans l’expression, une souplesse dans l’emploi et une originalité dans la conception qui lui confèrent une représentativité intégrale.
L’idée même du montage et de l’organisation de cette exposition est elle aussi un apologue, une fable (avec une moralité) qui en soulignent la singularité.
Diego Giacometti a vécu en symbiose avec son illustre frère qu’il a accompagné et escorté sa vie durant, il travaillait en complément avec lui, ils élaboraient de concert leurs matériaux, se côtoyaient dans des ateliers mitoyens, forgeaient ensemble, travaillaient ensemble et concevaient en commun, d’une manière qui demeure la plus grande partie d’un lumineux secret.
Diego réservait plus ou moins sa production autonome à des meubles signés de lui, des objets de décoration parfois objets de petites séries, à un bestiaire très familier de petites œuvres de fer forgé, voire de lignées de personnages et de sujets de menues frises familières qu’il incorporait à sa création mobilière, tables, lampadaires, photophores, suspensions, encadrements de portes, dessus de cheminées, enfin tout ce que l’on voudra et que son imagination lui suggérait.
Il a survécu vingt ans à son frère, a poursuivi sa route et continué sa propre création, solitaire dorénavant, plus autonome peut-être ?
La vie a suivi son cours et l’œuvre propre de Diego peu discernée d’abord, s’est peu à peu individualisée et a pris racine dans l’imagination du public et dans l’illustration de cette rare (mais non unique dans l’histoire) configuration fraternelle.
Et voici quelques mois, une table forgée par Diego a atteint dans une grande vente aux enchères une cote fabuleuse à l’échelle de celle d’Alberto, tétanisant le petit cercle d’amis et de collectionneurs qui s’était établi sur la saga de cette grande fratrie d’artistes créateurs du XXe siècle.
Immédiatement les amis et admirateurs du cadet se regroupèrent autour de Sotheby’s qui, en action de grâces (en quelque sorte) assembla en hâte un nombre certes suggestif et représentatif, sinon considérable de témoignages de son art et de son ironie bonhomme et légère, qui forme un délicieux – non pas contraste mais complément- à l’univers quelque peu tragique de la condition humaine figurée par son frère et projetée par lui dans la vision artistique du monde contemporain.
Le but recherché est clair mais il ne convient pas de se dérober : il nous revient donc, avec bonheur, d’accueillir Diego, de le fêter dans le Panthéon du XXe siècle et de savourer dorénavant son classicisme malicieux et inspiré dans la création du siècle dernier.
Henri-Hugues Lejeune