Les coups de cœur d’Esther Ségal
Alain NAHUM ou la charge d’âme.
« Laissez parler
Les petits papiers
A l’occasion
Papier chiffon
Puissent-ils un soir
Papier buvard
Vous consoler » (1)
C’est ainsi que je découvre la création d’Alain Nahum, succession de petits riens qui racontent l’humanité toute entière. Mouchoirs abandonnés, traces de rues, papiers froissés, petites annonces clandestines à même les murs, sacs de gravas entassés, bâches en plastique mal pliées, Alain Nahum voit de l’histoire partout, et plus exactement, de l’humain partout. Chaque détail insignifiant est prétexte à l’imprégnation, à la métaphore, à l’anthropomorphisme. Il réveille notre imaginaire en puisant dans la vie des autres, dans l’instant flottant, dans ces gestes, ces mains qui ont tenues, froissées, pliées, jetées, portées l’élément insignifiant, dans ce qui a été laissé derrière soi comme s’il cherchait à photographier la « charge d’âme humaine » qui perdure dans ces objets laissés pour compte.
Il se crée du coup tout un monde parallèle, fantomatique, au sens d’une vie dans la vie, comme un voile d’existence que l’artiste archéologue chercherait à soulever. Voici une démarche idéaliste… soulever le voile, « soulever notre vision » et non plus simplement chercher à en photographier l’étoffe… creuser la profondeur jusqu’au hors cadre, jusqu’au hors champs pour initier dans l’image saisie, une narration imaginaire humaniste que l’artiste ressentirait intuitivement au moment de la prise de vue.
C’est certainement son parcours de cinéaste qui lui fait envisager la photographie comme un déroulé fictionnel : apparition de l’objet, intuition de son histoire, réaction du spectateur… Je suis ciné-photographe dit-il. L’objet devient comédien à son tour, il n’est pas là par hasard, il est sur le chemin, il porte en lui une charge d’affect qu’Alain NAHUM vient faire surgir si cela le touche émotionnellement. Je photographie ce qui suscite une conversation… un papier qui me parle, dont la forme m’intéresse… il faut que le sujet me raconte quelque chose, encore un peu d’histoire… (2)
Encore un peu d’histoire… oui ! Mais pas n’importe laquelle ! Une histoire qui est nôtre. Je suis dit-il devenu le passeur de toutes ces histoires (…) Chaque mur, chaque coin de ville, renferme des charges humaines insoupçonnées, des secrets, des empreintes d’où émergent des messages anonymes (4). Dans la lignée de Prévert, d’André Breton, de Baudelaire, il rend de la dignité aux débris, aux rebus de la société, il les relève à la vie par une « image résistante » qui raconte quelque chose de notre humanité et toutes ses prises de vue partent d’un sentiment déclencheur, le passage de l’humain.
Ainsi, l’émotion humaniste mais aussi politique est au cœur de la démarche artistique de l’artiste. Il nous invite non plus à voir, mais à regarder les traces de notre humanité émergente (3) dans la plus humble des matières et nous livre une histoire souvent collective, imprégnée de nomadisme. Il y a ces passages piétons déformés par la marche quotidienne des citadins qui laissent apparaître des familles entières exilées ; ces sacs de gravas, déposés comme des corps morts à même le sol et bien d’autres encore.
Alain NAHUM m’apparaît comme un alchimiste cherchant à transmuer le plomb en or, en insufflant à la matière de l’humanité et à l’humanité de la matière… à réflexion. Par sa démarche, presque divinatoire sous certains aspects, il ré-enchante le désenchantement de la société face à l’objet anonyme mais surtout, nous fait voir ce que nous ne regardons plus et nous fait regarder ce que nous ne voyons plus.
Je vous invite donc à découvrir sans plus tarder, en podcast, sur 100.7 fréquence protestante, dans « La parole est à l’artiste » par Esther Ségal (Émission du 30 juin 2018 / 17H)
(1) « Les petits papiers » chanson de Régine ; paroles et musique de Serge Gainsbourg
(2) Propos de l’artiste.
(3) Propos de l’artiste.
(4) Propos de l’artiste.