Les coups de cœur d’Esther Ségal
Alain Rivière-Lecœur / le retour de Prométhée
Alain Rivière-Lecœur est un artiste dont l’œuvre photographique est née d’une rébellion artistique face aux contraintes marchandes et publicitaires de la photographie avec lesquelles il devait travailler. Alliant l’exigence technique à l’inspiration intuitive, il décide de développer toute une recherche autour d’un humanisme biblique et mythologique. J’emploie ces termes car on découvre, au travers de ses réalisations, la tentative audacieuse de retourner aux origines de la création de l’humain. L’artiste voit grand, voit loin et tel un démiurge, un Prométhée, il remet en scène la Genèse en façonnant l’homme à son image !
Une image inspirée… d’argile et de lumière, de chair et de mouvement, aux allures de commencement du monde… et plus exactement de son monde intérieur : une idée, une vision mentale, une recherche, des croquis, une réflexion, l’artiste ne ménage pas son esprit pour ordonner harmonieusement une humanité entre terre et ciel dans sa photographie. On y découvre des corps de pierre, des corps plongés dans une terre humide, qui se ploient et se déploient chorégraphiquement dans un mouvement de cendres et de souffle proche du Butõ. Par cette torsion de la matière et de l’âme, il nous confronte à la beauté tragique de notre condition et aux fondamentaux de notre existence : l’amour, la maternité, la religion. Nous ne sommes plus devant un objet photographique inanimé mais devant une étreinte visuelle, exaltation de vie et de mort, émotion presque tactile où se croise les diverses formes d’expression artistique : peinture, sculpture et danse. Alain Rivière-Lecœur rassemble, fusionne, transcende les limites plastiques de chaque pratique en créant un objet hybride pictural. L’artiste le dit d’ailleurs lui-même : ce sont « des tableaux photographiques, des fresques, des photographies-sculptures » (1).
Il se vit comme un lieur de mondes utilisant pour son ouvrage les puissances de la nature dont l’un des matériaux, dans la Genèse et la tradition grecque ancienne, permit à l’humain d’être créé : l’argile. Un matériau de métamorphose qui convoque à lui seul les quatre éléments naturels, l’eau, la terre, l’air et le feu. Ainsi, si l’eau permet à la terre d’être modelée, l’air lui insuffle son maintien que le feu vient consolider. Ce liant alchimique, il l’applique comme une tunique de peau sur le corps vivant de ses modèles, une tunique de peau symbolique à la lisière de la forme et de la poussière, de l’incarnation et de la destruction, d’éros et thanatos. L’artiste nous livre ainsi avec une puissance antique, l’histoire de ses dieux qui ont engendrés l’humanité à leur image et de cette humanité qui tente à travers la poussière de sa condition de retourner vers cette perfection divine.
Les photographies d’Alain Rivière-Lecœur questionnent d’une certaine manière notre rapport à l’éternité mais aussi le rôle de l’artiste et la place de son art au sein de notre société. Son travail artistique traverse les temps et nous renvoie avec cet œil moderne à l’une des premières missions de l’art : être au service du sacré.
À découvrir sans plus tarder, en podcast, sur 100.7 fréquence protestante, dans « La parole est à l’artiste » (Émission / Esther Ségal du 31 mars 2019 / 19H)
(1) Propos de l’artiste.