L’Oxymore flamboyant de Woytek Konarzewski
Par Cybèle Air
Le photographe Woytek Konarzewski nous régalait il y a un an d’une exposition au TEC, Théâtre Elizabeth Czerczuk dans le 12e arrondissement de Paris, exposition inspirée par le spectacle Les Inassouvis, donné toute la saison dernière dans ce lieu à l’âme slave et plus particulièrement polonaise. Le titre d’alors, « Rêves Inassouvis », prolongeait la scène, ses éblouissements, et se révélait un oxymore tant les œuvres de Woytek répondaient à la définition freudienne du rêve : la satisfaction d’un désir inconscient sous forme d’image. Il récidive explicitement en ce début d’année, avec l’exposition « Oxymore » à la galerie Cecilia F., dans le Marais à Paris. Quels liens entre ces deux expositions ?
Le photographe a mis au point une technique spécifique pour un résultat émotionnel intense. Il a inventé son procédé pour rendre la dynamique, l’énergie, le mouvement. Déjà une personnalité originale, danseuse de Butō, avait suscité chez lui la nécessité d’inventer une technique nouvelle. « Il n’y a pas de règles » répond Woytek Konarzewski à la demande de précisions sur sa technique, parfois quarante photographies initiales sont nécessaires pour une photographie finale. Comme Kant l’expliquait clairement, en matière d’art, la règle est dans le sujet qui œuvre, l’artiste, et lui reste en partie opaque. « Une photo c’est comme un tableau, ça doit parler tout seul, c’est un langage en soi, un langage universel » affirme Woytek. Ce photographe cinéphile, amateur de jazz, se réfère explicitement à la peinture. Avec le spectacle Les Inassouvis, il a retrouvé une personnalité exceptionnelle rencontrée dans son adolescence par la lecture : Witkacy, dramaturge, philosophe, peintre et photographe fameux, fils du grand architecte de Zakopane au tournant du XXe siècle. L’atelier de portraits de Witkiewicz est revenu inspirer l’œil de Woytek Konarzewski sur la scène du TEC. Ce sont des retrouvailles avec Witkacy, l’artiste aux multiples facettes qui inspira l’écrivain Gombrowicz et l’homme de théâtre Kantor.
l’exposition de Woytek Konarzewski «Oxymore» : Woytek et sa fille Claudia
Cercles jaunes et violet pour une madone en douleur, avec des cornes ébouriffées qui en font un animal blessé, un rose vient exacerber les tulles enchevêtrés, et l’on ne discerne que dans un second temps l’avant-bras qui soutient le visage concentré, yeux fermés. Ou dans une autre photographie une main tendue, le corps à terre, émerge d’un océan bleu et blanc de désarroi, dans les plis raffinés, réfléchis par le grand miroir scénique, le profil et la natte, l’espérance envers et contre tout. Matka, d’après une pièce de Witkiewicz, deuxième volet de la trilogie d’Elizabeth Cerczuk Les Inassouvis, a inspiré à Woytek Konarzewski des portraits quasiment abstraits. Lui, le portraitiste des objets inanimés, des stylos les plus prestigieux aux parfums poudrés, des fards iridescents aux délicatesses luxueuses, s’est saisi de la matière théâtrale du TEC, comédiens, lumières, chorégraphies, musiques contrastées, pour les élever à une abstraction photographiée. Ou plutôt, il a su rendre visible l’invisible. Si ce mot d’ordre reste celui du peintre, il pourrait être celui de tout artiste, ce que manifestent ici les œuvres du photographe. Entre un mur et un précipice, voilà Matka, la Mère, interprétée par Elizabeth Czerczuk, elle tient le mur, fragile, et derrière elle comme en halo, toutes ses hésitations d’elle-même, comme un passé qui la pousse et la précède : voilà l’oscillation de l’existence, la liberté vertigineuse au bord du précipice dont parlait Sartre. La comédienne ici arrêtée par la photographie se rattache à son mouvement et permet le temps de la réflexion, du retour réflexif.
l’exposition de Woytek Konarzewski « Oxymore » : Sergiusz Chądzyński
Ce théâtre est plus que du théâtre, mais une expérience qui nous embroche au cœur d’une vérité qui hurle à vouloir être dite. L’une des photographies le révèle magnifiquement : Matka tombe à la renverse, blanche, du vert et du bleu à terre, les bras écarquillés, tête en arrière, bouche grande ouverte. Le hurlement nous saute aux yeux, et les échos de la voix font tache éperdue et rythmée dans le miroir scénique. La vérité de chacun s’adresse à soi-même et exige une écoute, une bienveillante écoute. Woytek Konarzewski a réussi à rendre visuel l’écho sonore d’un cri que chacun profère en silence. Diagonale d’un point vert à l’autre, déséquilibre en beauté blanche froissée, échos abstraits puissants, consonants pour chacun. Peu de mots sur scène, le corps, le raffinement des costumes, la gestuelle, les ruptures musicales, les couleurs projetées par la lumière, parlent en plusieurs langues, toutes universelles. Avec son dernier spectacle Yvona, d’après Yvonne, princesse de Bourgogne de Gombrowicz, Elizabeth Czerczuk continue d’inspirer Woytek Konarzewski.
L’exposition Oxymore explore la scène théâtrale et baroque du TEC, transmettant au cœur de Paris les traits du génie polonais, mais aussi les visages comme voyages et les paysages comme portraits. Le photographe n’en est pas à un oxymore près.
- Galerie Cecilia F.
- 4, rue des Guillemites, Paris IVe
- « Oxymore », exposition de photographies de Woytek Konarzewski
- Janvier 2020