THE BRUTALIST DE Brady Corby
Par Chantal Laroche Poupard, SIGNIS France
Le réalisateur Brady Corby narre l’histoire poignante de László Toth, originaire de Hongrie, rescapé des camps de concentration. Architecte avant-gardiste, respecté dans son domaine sur le vieux continent, il est rejeté, confronté à la perversité et à la « brutalité » et méconnu en Amérique où il arrive comme immigré.
Le scénario tiré au cordeau de cette fresque grandiose est passionnant ; les trois heures trente de ce film, composé d’une ouverture, de deux parties, d’un épilogue et d’un entracte passent avec un rythme captivant et limpide.
L’ouverture du film est magistrale tandis qu’un individu, dans un plan séquence, s’extirpe, telle une naissance, d’un parcours confus et obscur : les horreurs de la Shoah ne sont pas montrées mais suggérées avec une musique organique de voix off et de cris. L’homme émerge de l’obscurité, c’est László Toth, qui remplit tout l’écran de sa jubilation. Il voit la statue de la liberté filmée en oblique puis à l’envers. Faut-il déjà voir dans ce plan contrarié l’ivresse de la joie de l’immigrant arrivé en Amérique ou la future désillusion que le mythe du rêve américain réveillera en lui ?
Dans l’attente de son épouse et sa nièce qui sont toujours en Europe, László débarque donc aux États-Unis dans l’État de Pennsylvanie, où il retrouve un cousin. Celui-ci lui présente un riche industriel, Harrison Lee Van Buren qui, fasciné par l’artiste et architecte, lui confie le projet de la construction d’un institut culturel démesuré, composé d’un gymnase, d’un théâtre, d’une bibliothèque et d’une chapelle.
Laszlo Toth se lance dans ce projet architectural qu’il va réaliser dans son style, le style « brutaliste ». Le brutalisme est un style architectural issu de l’école artistique Bauhaus interdite par les nazis en 1933. Ce style utilise le béton, les matériaux bruts et les bâtiments aux dimensions imposantes se distinguent par leur absence d’ornements. Ce style fait écho au chaos intérieur du traumatisme passé de Lazslo et à son état d’âme. Lazslo est un rescapé de la Shoah. Comme le précise Brady Corbet, «la manifestation physique des traumas du XXe siècle se reflète dans l’architecture».
En ce qui concerne l’histoire de Laszlo Toth, le réalisateur Brady Corbet et Mona Fastvold sa femme co-scénariste, se sont inspirés de la vie de l’architecte Marcel Breuer, également hongrois, architecte du bâtiment en étoile de l’Unesco et contemporain de Charles-Edouard Jeanneret dit Le Corbusier.
Dans le film, le format VistaVision, panoramique en plan grand angle où le rapport hauteur largeur de la pellicule est inversé, permet la description de l’intensité des émotions ainsi que les incroyables images de l’architecture imposante. Celles des gratte-ciels new-yorkais, du crépuscule sur la colline, des rayonnages de l’imposante bibliothèque de Harrison Lee Van Buren ou des rayons du soleil formant une croix dans la chapelle de l’institut imaginé par Lazslo. A ces images se mêlent celles de la matière, de la boue, du béton et, dans une longue et superbe séquence, celle du marbre de Carrare et de son imposante carrière.
Les teintes obscures des bâtiments contrastent avec les teintes orangées de nuits de fête et d’ivresse folle ; dans la rue des prostituées les couleurs sont vives, les lignes géométriques, les éclairages vifs dans une atmosphère évoquant la peinture d’Edward Hopper.
Le scénario brillamment maîtrisé gère des ellipses comme le passé de László ou l’absence de son épouse Ezsebet, suggérée par une voix off qui lit sa lettre. Le scénario fluide est tellement bien agencé que les nombreux et différents thèmes abordés, art, racisme, jalousie, drogue, abus sexuels, capitalisme ne paraissent pas plaqués mais s’intègrent avec habileté et finesse dans cette histoire de vie dramatique passionnante.
Lazslo est la colonne vertébrale de cette histoire. Magistralement interprété par Adrien Brody – déjà génial dans le film de Roman Polanski Le Pianiste (2002) – il crève l’écran et le cœur. Le format VistaVision intensifie les émotions de cet homme cassé, tel son visage blessé en gros plan, son corps long et amaigri, parfois fiévreux et ivre que la drogue rend «brutal ». Mais son histoire est aussi celle d’une belle histoire d’amour avec sa femme aimante, intelligente et courageuse, Ezsebet dont Felicity Jones tient superbement le rôle. Quand les amants se retrouvent, Lazslo est doux, sensuel et dévoile même une sensibilité à fleur de peau.
Harrison Lee Van Buren – interprété par Guy Pearce – se dévoile quant à lui comme un être vénéneux, brutal, qui abusera de Lazslo dans tous les sens du terme. Le talent et l’art de celui-ci entraîne non seulement l’incompréhension de l’Amérique qui le considère comme un étranger mais suscite aussi l’emprise et la jalousie de cet être abject, Harrison, qui pourtant ne cache pas sa fascination pour Lazslo ; la séquence dans la carrière de Carrare reflète la rapacité, la brutalité d’Harrison Lee Van Buren entraînant l’altération de la santé mentale et physique de Lazslo.
Dans ce film où le leitmotif sémantique est le mot «brut» ainsi que ses dérivés, brutal brutalité, brutalisme et en donne le titre The Brutalist, Brady Corbet reprend ces thématiques obsessionnelles, où l’individu est marqué par la désillusion au lendemain d’une guerre qui a même réussi de façon perfide à investir l’Art. L’expérience artistique de ce film époustouflant a été récompensée par un Lion d’Argent à la Mostra de Venise 2024 et a reçu le Golden Globe du meilleur film dramatique 2025, de la meilleure réalisation, et du meilleur acteur pour Arien Brody.
THE BRUTALIST de Brady Corby co-écrit avec Mona Fastvold. Etats-Unis/Grande-Bretagne/Hongrie, 2024, 3h34. Avec Adrien Brody, Guy Pearce, Felicity Jones. Lion d’argent à la Mostra de Venise 2024.