Tony Bennett et Diana Krall en duo
Par Michel Contat
Parmi les crooners, il y en un seul d’incontesté et incontestable : Frank Sinatra. Mais, tout de suite après lui, l’un s’impose depuis beaucoup plus qu’un demi-siècle : l’italo-américainAnthony Dominick Benedetto, dit Tony Bennett. Né en 1926. Un crooner au phrasé de saxophoniste ténor. Une voix unique.
Je me souviens d’un concert au festival de jazz de Montréal dans une salle immense, il chanta une chanson entière en solo, a cappella, sans micro : sa voix envahissait l’espace comme un velours rouge. Impressionnant. Si vous devez n’avoir qu’un disque de lui, aucune hésitation : Here’s to the Ladies (1995). Un souvenir à ce sujet : invité à dîner chez une amie, j’avais apporté ce CD pour le faire écouter. Il y avait là Steve Lacy, le fameux saxophoniste soprano avant-gardiste dévoué à Thelonious Monk. A ma grande surprise, il écouta Tony Bennett avec une totale admiration, une véritable piété, et pendant tout le dîner il se releva pour aller remettre la même chanson, notre amie m’en voulut.
Les amateurs de jazz ne sont pas forcément des fans de Tony Bennett, mais Tours reconnaissent la valeur de son duo avec le pianiste Bill Evans : The Tony Bennett/Bill Evans Album (1975) et Together Again (1977). Je me souviens d’un déjeuner où il me convia avec l’attachée de presse de Columbia dans son Manhattan Club, à deux encablures de Central Park. Nous dégustâmes du homard et il me parla avec émotion de son maître ès-mélodie, Stan Getz. Et de ses deux disques avec le Count Basie Orchestra. Un jazzman rentré. Peintre aussi, sous lenom de Benedetto, cela comptait énormément pour lui.
A 94 ans, il continue de chanter sur scène, il est un monument national (représenté dans un épisode du Parrain de Francis Ford Coppola), ses disques se succèdent avec succès. Ces dernières années, il s’est adonné aux duos avec des chanteuses, entre autres autres Lady Gaga (The Lady is a Tramp), Amy Winehouse (Body and Soul, ce fut le dernier enregistrement de celle-ci, bouleversant), k.d. lang (Blue Velvet), Aretha Franklin (How do you keep the Music playing), Norah Jones (Speak Low). Mais il y a eu aussi Céline Dion, Barbra Streisand, Mariah Carey. Et une première chanson, il y a dix ans, avec la Canadienne Diana Krall. Avec elle, il sort à présent Love is here to stay (Verve/Universal/Sony), douze chansons de George Gershwin enregistrées avec le trio du pianiste de jazz Bill Charlap, un orfèvre.
L’album est une merveille. Diana Krall, dont les derniers disques n’avaient pas vraiment convaincu, y apparaît au sommet de son art. Elle donne en solo une version magnifique de But not for me, faisant un sort aux paroles déchirantes de la chanson. Et leur duo est constamment inspiré, chaleureux, affectueux. Ces deux-là étaient faits pour s’entendre, ils ont en commun une sentimentalité innocente, amusée, jamais bête : ils savent ce qu’ils chantent, ils ont vécu ces sentiments amoureux, leurs cœurs battent à l’unisson malgré la différence d’âge (Diana a 53 ans, elle en paraît à peine quarante, lui est sans âge, à vrai dire). La chanson américaine avec eux est bien servie. Les arrangements de Bill Charlap ne sont pas pour rien dans ce bonheur.