TROIS KILOMETRES JUSQU’A LA FIN DU MONDE d’Emanuel Pârvu
Par Chantal Laroche Poupard, SIGNIS France
Le troisième long-métrage du Roumain Emanuel Pârvu est par sa forme solaire et lumineux mais sombre et sordide tant cette histoire bouleverse et révolte. Le drame se noue dans une société rétrograde, étriquée et violente, dont les méthodes d’obscurantisme résonnent face à la sexualité « hors norme » d’un jeune homme.
Adi, 17 ans, passe l’été dans son village natal de pêcheurs, niché dans le delta roumain du Danube. Le film s’ouvre sur une large plage où parlent deux garçons. Dès la deuxième séquence, les deux jeunes gens se retrouvent hors champ comme pour signifier déjà leur exclusion.
Adi rentre chez lui ; seule l’empreinte d’une violente agression est visible sur son visage tuméfié. Son père et sa mère s’affolent, exigent une enquête afin que justice soit faite, mais il faut disculper les auteurs de l’agression car celle-ci embarrasse le village aux principes rigides et obsolètes, où l’homosexualité est une maladie, un péché. La police et certains notables du village ont recours au chantage et à des compromissions malhonnêtes.
S’en suit un changement de comportement des parents de Adi et une impitoyable escalade de violence sur le jeune homme, considéré comme « malade ». Ses parents usent de sévices à son égard, vont même jusqu’à le bâillonner, le séquestrer et le faire violemment exorciser par le curé.
Dans ce village roumain replié sur lui-même comme dans un presque huis clos à ciel ouvert, Emanuel Pârvu montre avec subtilité le changement d’attitude des parents : dans un cadrage précis, un poteau sépare en deux une pièce où se trouvent la mère et le fils qui ne se comprennent plus car ils ne sont plus du même monde. A trois kilomètres de là, il y a un ailleurs auquel le jeune Adi aspire.
L’art du réalisateur est tangible dans le contraste entre obscurantisme et beauté : ce drame se déroule en pleine lumière, dans la lumière d’un ciel d’été, où le rivage grandiose du Danube s’étire en larges plans, où le bruissement du vent dans les feuillages adoucit la souffrance, où le clapotis de l’eau abreuve les blessures, où la splendeur de la nature autour de ce fleuve souverain console de tant d’injustice, d’exclusion et d’intolérance.
Acteur dans plusieurs films roumains dont Baccalaureat de Cristian Mungiu (Palme d’or 2007 pour son long métrage 4 mois, 3 semaines, 2 jours), Emanuel Pârvu confirme sa maîtrise de réalisateur avec une sensibilité subtile et un sens artistique superbe qui l’ont mené en compétition officielle au Festival de Cannes 2024.
TROIS KILOMETRES JUSQU’A LA FIN DU MONDE d’Emanuel Pârvu. Roumanie, 2024,1h45. Avec Bogdan Dumitrache, Ciprian Chiujdea, Laura Vasiliu. Festival de Cannes 2024, compétition officielle.