Wifredo Lam
Par Henri-Hugues Lejeune
Cette exposition est passionnante à plusieurs titres.
Pour sa première rétrospective digne de ce nom en France, le Centre Pompidou montre de ce nomade de Wifredo Lam une vision d’ensemble dont de nombreuses périodes et des phases importantes y étaient pratiquement inconnues.
Il s’est en effet beaucoup déplacé, par nécessité politique souvent, par convenance personnelle aussi. Parfois se sentait-il à l’étroit en certains lieux où il ne se trouvait plus en harmonie mais cela demeure son secret. Le chroniqueur ne peut se reconnaître que des intuitions ou des impressions quant à la biographie d’un peintre qu’il s’efforce de présenter à ses lecteurs ! Il nous faut surtout remarquer combien son œuvre a porté le reflet de ses tribulations et de ses intérêts, voire de ses passions.
La critique qui ne recule jamais devant le plaisir d’en remettre un peu parle à son propos de modernité transcendantale mais ce qui nous intéresse est que des pans entiers de son œuvre qui ne relevaient pas directement de son itinéraire français nous mettent en présence d’un artiste de première importance en partie méconnu notamment « La Jungle » de 1943 du Moma de New York.
Elle fait aussi ressortir la structure de ce cosmopolitisme, voire sa nécessité de par ses origines tant ethniques que géographiques et de sa vie d’esthète et d’exilé.
Elle révèle enfin la spontanéité de son langage artistique et intellectuel. Il a toujours été proche et ouvert vis-à-vis des autres créateurs de son temps, qu’ils soient artistes ou littérateur. A commencer par les surréalistes bien entendu parmi lesquels il a été souvent nommé, mais pas d’eux seulement.
Profondément conscient d’une originalité dont la nature elle-même l’avait doté à un point rarement atteint : né d’un père chinois et d’une mère mulâtre dans un improbable Cuba, île des Caraïbes dépourvue d’autochtones en 1902, il est parti en boursier vers l’Espagne terminer ses « humanités artistiques » au cours desquelles il entreprend son parcours vers la modernité, les dépouillements qu’elle entraîne ainsi que les horizons qu’elle découvre. Il aboutira à Paris en 1938 non pas tant en jeune artiste fasciné mais comme réfugié politique révolutionnaire qui lui faisait craindre pour sa vie mais le fit accueillir à bras ouverts par l’intelligentsia parisienne.
La guerre l’obligea de même à partir vers Marseille où il vécut en symbiose avec les surréalistes à la recherche d’un nouveau refuge : de là il retomba dans la Caraïbe avec André Breton avant de regagner son pays en 1943, par un caprice de l’histoire !
Il regagnera Paris en 1952 et choisira dorénavant ses exils comme un artiste de la Renaissance italienne !
L’évidente aisance de son langage pictural se fonde sur cette conscience de son originalité profonde et organique combinée à son adaptabilité et sa polyvalence technique ; la facilité de sa réminiscence ne marque pas chez lui une influence mais la simplicité du langage et une sympathie envers la poésie et la littérature. Il était volontiers illustrateur et ceci au point de préférer le « support papier « comme on dirait de nos jours, qu’il marouflait, même dans le cas d’une œuvre de l’importance de « La Jungle ».
La Jungle, qui n’existe pas à Cuba où elle est remplacée par une sorte de maquis, la « manigua » dense et épineuse à l’instar de ces formes aiguës de sa maturité !
30 septembre 2015 – 15 janvier 2016
au Centre Pompidou