LA PERFORMANCE
Par Iris Alter
L’ART QUI PERMET DE CAPTER L’ESSENCE DE LA VIE, L’EXEMPLE DE TEHCHING HSIEH
Si on perce l’écorce de notre existence physique, quels sont les éléments inéluctables qui nous qualifient d’être humain? Une question que l’homme se pose depuis la nuit du temps, sans jamais réussir à capter la complexité de l’existence humaine. Des sciences diverses et variées se sont penchées sur la question, philosophie, psychologie, sociologie, médecine etc.
L’art offre un autre registre de recherche sur la vie. L’art de la performance, souvent difficile d’accès pour les non-initiés, n’est-il pas un médium particulièrement propice à rendre palpable les questions liées à l’essence de la vie?
Prenons l’exemple de Tehching Hsieh, performeur radical américain d’origine taïwanaises, né en 1950 à Nanzhou et vivant à New York. Pour parvenir à New York à partir de son Taïwan natal, il traverse l’Atlantic en s’engageant dans la marine, mais fuit son service une fois arrivé à New York, où il mènera une vie de clandestin pendant de longues années. Après une courte période comme peintre, il se lance rapidement dans l’art de la performance. Dès ses débuts il fait preuve d’un courage exceptionnel. Il consacre sa vie exclusivement à son art et explore les limites de l’existence humaine, physiques et psychiques.
Tehching Hsieh propose sa propre vision de la vie humaine avec une formule qui semble presque trop simpliste « Life is a life sentence, life is passing time, life is freethinking » (La vie est une condamnation à vie, la vie est le passage du temps, la vie est la pensée libre). Pour mettre ces thèses à l’épreuve, son art interroge: quelle est l’expérience de vivre, quel est son rapport au passage du temps ? Quel rôle joue la coexistence de notre côté physique avec la pensée et l’âme, triple conditionnement qui caractérise notre espèce et notre vie ?
Dans ses performances planifiées et exécutées avec audace et rigueur, qui durent une année à chaque fois,ses réponses sont surtout physiques. Il se confronte à des situations extrêmes du vécu. Il essaie de tâtonner ce qui se trouve entre ces extrêmes pour capter l’essence de la vie même. Dans ce but, il expose son être jusqu’aux limites du physiquement supportable et de la folie, et efface ainsi les limites entre son art et sa vie.
Après une première performance en 1973 intitulée JUMP (le saut), un saut de la fenêtre d’un deuxième étage qu’il juge prématuré et dont il détruit son témoignage filmé, il se consacre uniquement à des performances d’une année.
Sa première performance d’une année de 1978 à 1979, intitulée CAGE PIECE (projet cage), consiste à s’enfermer dans une petite cage en bois scellée de l’extérieur, équipée d’un lit, d’un lavabo et d’un seau uniquement. Il n’a aucun contact avec le monde extérieur, sans livre, téléphone, télévision, ordinateur ou autre. Sa nourriture est livrée et son seau vidé au quotidien.
Dans sa deuxième performance de 1980 à 1981, TIME CLOCK (Pointeuse) il se prend en photo toutes les heures pendant toute une année, s’empêchant ainsi de dormir plus que 50 minutes consécutives et en fait une vidéo comprimée et accélérée de six minutes. A la limite extrême de sa force physique souvent proche de l’effondrement et de schizophrénie, il rate environ 300 fois sur les 12 mois. Comme pour ses autres performances, il rase sa tête au début de l’expérience afin de visualiser le passage du temps.
Pour sa performance de 1981 à 1982 OUTSIDE (à l’extérieur), il se contraint à vivre à l’extérieur pendant un an sans jamais rentrer à l’intérieur, même pas une tente ou une toilette publique. Le contenu de son sac à dos contient tout ce qui permet de vivre. Un documentaire d’une trentaine de minutes composé d’autoportraits, de dessins des trajets quotidiens tracés sur une petite carte de la ville, ainsi que de quelques vidéos qu’il fait filmer en témoignage de son vécu.
Dans la performance de 1983 à 1984 intitulée THE YEAR OF THE ROPE (l’année de la corde), il se fait attacher à la taille à l’aide d’une ficelle d’environ deux mètres et demi à une autre artiste de performance qu’il vient seulement de rencontrer, avec la contrainte de ne jamais se toucher où se détacher.
Avec la performance de 1985 à 1986 NO ART (pas d’art) il décide d’arrêter les performances d’une année. Il se pose le défi ne plus pratiquer, ni de voir, ni de parler, ni d’écrire sur l’art pendant une année.
Le THIRTEEN YEAR PLAN (Plan de treize ans) qui suit consiste à produire de l’art mais ne jamais montrer son travail au public jusqu’au 31 décembre 1999.
Le travail de Tehching Hsieh s’interroge sur les circonstances universelles de l’existence de l’être humain en donnant à une question existentielle une réponse à priori physique. En mettant son corps dans des circonstances d’extrêmes privations, il fait chuter les limites entre l’art et la vie. On comprend qu’il se dit influencé par la littérature russe, telle que le travail de Kafka ou Dostoevsky. Les ratés et manquements qui surviennent,malgré le caractère obstiné et acribique de son travail,soulignent une qualité humaine sine qua non de notre existence, dont l’artiste met en exergue l’importance. Ce qui étonne, c’est que malgré des performances qui requièrent des investissements physiques monstres, les preuves de ses performances restent relativement maigres.
Après des années de clandestinité, son travail est maintenant reconnu par les plus grandes institutions au niveau mondial. Sa performance Time Clock est actuellement montré à la Neue Nationalgalerie de Berlin jusqu’au 24 septembre et sera transféré dans la collection permanente du Musée du 20 ème Siècle qui est en construction à côté de la Neue Nationalgalerie.