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Hélène Jacqz-Tempo

Par Marc Albert-Levin

Marc Albert-Levin. Quand je vois tes peintures récentes, Hélène, elles me semblent appartenir à la famille des grands peintres gestuels américains des années 1960-70 : Franz Kline, Paul Jenkins, Sam Francis, voire Jackson Pollock et Wilhelm de Kooning. Ton passage par les Etats-Unis semble avoir eu sur ton travail une influence déterminante …

 

Hélène Jacqz. Notre point commun est la vitalité. Même si cette période a eu une influence décisive sur ma peinture, ma démarche à présent ne peut pas se réduire à la seule gestualité. Mon travail actuel procède par couches, comme une forme primitive de sérigraphie. La transparence, les espaces vides et le rythme doivent se combiner, et même si l’application des différentes « couches » est appliquée avec un engagement physique et une prise en compte intuitive de l’espace, le fait de travailler en strates oblige forcement à une distanciation. Cela demande plus de préparation mentale que mon travail d’il y a quelques années: je dois visualiser l’espace intérieurement, dans quel sens ira le mouvement, quelles largeurs auront les taches, quelle valeur et quel motif sera créé par la superposition de couleurs. Je dois trouver des solutions techniques, puis me lancer !

 

Marc Albert-Levin. Avant de te lancer dans un véritable corps à corps avec des toiles de très grand format et d’y laisser les traces d’une sorte de danse de la couleur exécutée par de très larges brosses, tu dis que tu dois d’abord te concentrer ?

 

Hélène Jacqz. Oui. Dans les Ecrits de Nichiren, un moine bouddhiste qui vécut au XIIIe siècle au Japon, il y a un récit qui m’a beaucoup touché. C’est celui d’un général chinois surnommé Le général Tigre de pierre. Il croit apercevoir le tigre qui  a dévoré sa mère et décoche contre lui une flèche avec une telle intensité, un désir si fort de la venger, que la flèche pénètre profondément dans un rocher. C’est un rocher qu’il avait pris pour ce tigre. Ayant compris sa méprise, il essaie de renouveler cet exploit. Sans jamais y parvenir. C’est la force, la toute puissance de sa conviction qi a permis à la flèche de s’enfoncer dans la pierre. Je ne sais jamais d’avance ce qui résultera de mes projections, mais j’essaie toujours de peindre en y mettant toute ma vie.

 

Marc Albert-Levin. Pourrait-on dire que comme dans la danse, même si l’on virevolte sur des pointes ou si on s’envole pour un grand jeté, il doit y avoir dans la peinture, même non figurative, un sens de l’équilibre qui permet de toujours retomber sur ses pattes ?

 

Hélène Jacqz. La gravité sur terre est incontournable. Dans toute construction physique, on doit en tenir compte. Dans la peinture classique, c’est omniprésent avec le nombre d’or et toutes les règles de composition et de perspective qui en découlent. Chaque civilisation, a opté pour une vision particulière, une façon d’envisager cela selon son système de croyance. Mais, en fin de compte, la peinture (qui est bidimensionnelle) a la particularité de pouvoir s’affranchir de ces règles tout en en jouant. L’espace ainsi créé en dit beaucoup sur l’époque, la culture et la personnalité de l’artiste. Pour ma part, l’espace, ou le morceau d’espace qui s’ouvre dans la fenêtre du tableau doit pouvoir à la fois s’ouvrir de tous cotés, tout en trouvant sa cohérence à l’intérieur du cadre. C’est pourquoi j’aime la contrainte du châssis qui amène à utiliser l’intérieur du carré ou du rectangle de mille manières possibles et je ne cherche pas à m’affranchir du cadre. Trouver sa liberté dans cet espace est déjà un beau challenge.

 

Marc Albert-Levin. Tu affectionnes particulièrement les couleurs fluorescentes, de l’orange au vert en passant par le rouge ?

 

Hélène Jacqz. Oui. Dans le passé j’utilisai du cadmium rouge ou jaune pour leur grande luminosité mais quand j’ai découvert les jaune, orange et rouge fluo, encore plus extrêmes, je les ais inclus dans ma palette avec jubilation.

 

Marc Albert-Levin. Hokusai se qualifiait de « vieux fou de la peinture. Dirais-tu que pour ta part tu es une « folle de la couleur » ?

 

Hélène Jacqz. En quelque sorte, oui. La couleur relie les gens. Elle crée une immédiateté, une vibration qui se partage (même si personne ne la perçoit tout à fait de la même manière). C’est une forme de gourmandise de l’œil qui m’aide à vivre. Pourquoi donc se limiter avec des règles de couleurs ou de bon goût obsolètes ? A l’image de la musique brésilienne (Samba) faite par le peuple et pour le peuple, j’aimerais faire une peinture accessible à tous et la couleur en est, à mon sens, une composante importante.

 

Marc Albert-Levin. Dans ce travail récent, tu utilises aussi du latex pour créer des réserves de blanc en l’utilisant comme une couleur?

 

Hélène Jacqz. En effet, j’achète le latex par 20 litres et je l’utilise sans modération ! J’adore, une fois retiré, la trace qui s’imprime avec lui. C’est un casse tête technique pour lui faire prendre des chemins nouveaux et la mise en œuvre est assez lourde. J’ai inventé toutes sortes de bidons à multi trous pour domestiquer sa fluidité et orienter sa direction. J’utilise aussi de drôles de pinceaux, tout cabossés (le latex encrasse durablement tous les pinceaux)….C’est ce qui me permet de créer la texture que je cherche, la fluidité et les rythmes. Dans cette recherche de l’outil idéal par rapport à une intention, il y a tout un aspect technique que je trouve rassurant car il me fait oublier le vertige de la toile blanche.

 

Marc Albert-Levin. Ce que j’aime dans tes toiles, c’est qu’alors même qu’elles sont non-figuratives, elles parviennent à offrir la même évidence que des phénomènes naturels. Elles deviennent aussi irréfutables qu’un ouragan, une averse ou un raz-de-marée. On les voit se produire et on les reconnaît.

 

Hélène Jacqz. Ce sont en effet des images qui rappellent la nature – à mon insu- car ce n’est pas voulu. La manière dont j’utilise la liquidité des couleurs et le tempo que je leur associe, les rapprochent des mouvements de la nature, comme l’eau, le vent, le feu.

 

Marc Albert-Levin. Et les titres que tu donnes à tes toiles le confirment : « Inventaire céleste », « OutreEspace », « Souterraine », « Pas de côté », « Gemme », « Source », « Contre-courant », « Brasier ». Ou encore tes titres font allusion aux saisons, à l’été ou à l’automne. Tu as inventé aussi un concept intéressant. Ce que tu appelles cela la « Géométrie allusive » et le titre en anglais de « Allusive stripes » pourrait être traduit par « Rayures suggestives ».

 

Hélène Jacqz. J’aimerais juste revenir sur un point. Pour moi, le plus important c’est l’intention. Quand elle est forte, on trouve des solutions techniques. Le résultat dépend de cette clarté intérieure.  Dessiner le vide, c’est penser à l’envers. Cela consiste à structurer l’espace dans mon esprit avant de le faire exister en négatif sur la toile. La pensée doit être concise, concentrée mais aussi souple, afin de laisser de la place à l’improvisation et aux nombreux accidents, car ce sont eux qui vont donner de la vie à la peinture. Il est difficile d’expliciter ce que je cherche dans ce processus un peu acrobatique ou une partie du résultat provient de l’aléatoire. Ce qui finalement m’amuse le plus est la confusion d’espace générée entre le fond et la surface et la complexité picturale qui en résulte.

 

Exposition du 19 septembre au 19 octobre 2024

Vernissage le 18 septembre de 18h30 à 21h30

 

Galerie Mondapart 80 rue du Château 92100 Boulogne

Du mercredi au samedi de 14h30 à 19h30

 

Les dimanches et autres jours sur rendez-vous :  contact@mondapart.com

Téléphone galerie : 0608309490