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Ida en duo

Par Pascal Aubier et Henri-Hugues Lejeune

Par Henri-Hugues Lejeune

©_WOYTEK_KONARZEWSKI

On a toujours plaisir, en ce monde blasé, à saluer l’apparition d’un joyau. D’autant qu’il s’agit ici d’un grand film polonais, en noir et blanc s’il vous plaît, de Paweł Pawlikowski, qui relate la quête à la poursuite de son passé d’une jeune orpheline sortie malgré elle du couvent où elle a été élevée, à la veille de prononcer ses vœux. 

S’il est question d’un mystère en ce sens qu’il ne se dévoile que progressivement sous nos yeux, rien ne le voile vraiment, la révélation s’en effectue graduellement au fur et à mesure de la recherche menée par Agata Kulesza (la petite religieuse) et sa tante Agata Trzebuchowska.

Le scénario en est des plus simples et pourrait être signé par Diderot comme par le divin Marquis, dans la Pologne encore communiste des années 60 où l’histoire se place, très remarquablement restituée. 
Les actrices constituent un duo extraordinaire: la jeune future nonne au jeu intense mais intériorisé et sa découverte d’un monde extérieur qui lui est totalement inconnu et sa tante, juge apparatchik revenue de tout y compris de la guerre, brutale et réaliste, d’une sobriété absolue et qui ne s’attarde sur rien, surtout sur elle-même. 

Les hommes, égaux à eux-mêmes hélas, les escortent dans ces régions infernales. 
Chaque plan du film est un symbole lourd de sens et de potentiel dans ce pays froid, hostile dans un décor de tristesse contrainte minutieusement décrit et l’histoire est sans faille. 

Elle est d’une grande intensité dramatique sans verser dans le moindre mélodrame et ne concède rien. 
Ce film qui brille d’un éclat solitaire dans la production contemporaine a été unanimement salué à Paris par la critique comme par le succès public qu’il remporte.

Ida Ida par Pascal Aubier

Henri-Hugues Lejeune, ici même, a écrit un fort bon papier sur Ida alors que j’étais au lit malade comme un chien, les pauvres chiens. Il m’a donné très envie d’aller le voir, c’est fait. Il m’a donné aussi envie d’en rendre compte à mon tour. Merci. Ce qui fait le bonheur de Saisons de Culture, c’est d’écrire ce que l’on veut, sur ce qui passe et se trame. Revenir sur ce film est surement bien pour le film, bien pour ceux qui iront enfin le voir, bien pour parler et dire ce qu’on pense. Au fond, on est là pour ça.
Tout ce qu’en a dit Henri-Hugues Lejeune est fort et juste. Je voudrais seulement replacer deux ou trois choses qui me semblent importantes puisqu’on parle de cinéma. C’est vrai le choix du noir et blanc est superbe et donne à cette histoire terrible, la profondeur des choses anciennes. Jean-Luc Godard disait que la couleur remplissait trop l’image. Qu’on ne voyait plus que ça. C’est vrai que la couleur fut un progrès évident dans l’histoire du cinéma. Combien de merveilles (tenez à propos de Godard et de la couleur je vous recommande de revoir Le Mépris avec l’inattendue Brigitte Bardot, 1963) se sont inscrites dans la couleur. Mais on n’en avait pourtant pas fini avec le noir et blanc. Au début, on ne pouvait tourner qu’en Noir et Blanc. La couleur vint, très chère. Puis on ne put plus tourner qu’en couleur. Marché oblige. Dommage. C’est si bien de pouvoir choisir.
Pavel Pawlikowski a choisi le Noir et Blanc, merci pour nous. Il a choisi aussi deux immenses actrice, l’une établie, intense, puissante, belle, imposante et si subtile, la « tante Rouge », Agata Kulesza (et non pas la petite religieuse, mais les noms Polonais sont si incroyable qu’on a le droit de s’égarer) dont le jeu bouleversant domine le noir et la blanc du film. L’autre, si jeune et si charmante, Agata Trzebuchowska, qui dit-on n’a pas envie de continuer à faire du cinéma, incarne la jeunesse prise au piège entre passé, présent et avenir finalement terrible. Et qui mériterait bien de continuer ce métier qui lui va si bien. Toutes les deux nous enchaînent à cette histoire. Ida va prononcer ses vœux, elle apprend soudain qu’elle est en fait juive, que les sœurs l’ont recueillie, que ses parents ont été assassinés pendant la guerre par les paysans qui les cachaient. Peur. Stupéfaction. Elle rencontre sa tante, magistrate communiste déchue, devenue errante, presque prostituée (on disait vite ça à l’époque quand on couchait avec n’importe qui pour oublier) qui lui fait remonter le fil de cette histoire, jusqu’à la tombe même de ses parents enterrés en pleine forêt. Ses parents et son cousin. Le fils de cette même tante surgie dans sa vie au moment où elle allait l’abandonner pour devenir cloitrée, religieuse, femme de Jésus pour l’éternité. Drôle de coup de vie pour qui voulait n’en entendre pas parler !
Bon, je sais de nos jours les films tragiques ne sont pas au goût de tout le monde. La vie quotidienne est suffisamment emmerdante comme ça. Mais tout de même, il est si précieux de ne pas oublier notre, votre, leur histoire. Je dirais même que c’est essentiel.
Pavel Pawlikovski, n’a pas choisi que le Noir et Blanc pour nous conter cette Pologne des temps au fond pas si anciens. 1960, plus ou moins. J’allais souvent en Pologne et dans les pays Socialistes à l’époque, j’en ai bonne mémoire et puis c’était ma jeunesse. Le parti pris de réalisateur a été de décrire ce temps dans les tons de gris les plus sombres. Entonnant par là le discours général sur la faillite du communisme, discours qui me fait honte. Comme si la victoire du capitalisme avait de quoi pavoiser… On ne va pas développer, mais c’est un peu dommage tout de même cette uniformité terrible. Même la fête, la musique, John Coltrane et l’amour qui se découvre sont tristes, gris, affligeants. Parti pris, qu’est-ce qu’on y peut ? Et puis c’était souvent comme ça et c’est vraiment bien dit. Il y a un truc cependant : l’autre parti pris du réalisateur, c’est la verticalité. Je veux dire que les cadrages sont systématiquement projetés vers le haut. Les personnages, en plan large comme en gros plan, sont tassés en bas du cadre. Cela est parfois intéressant mais à la fin, ce systématisme fleure un peu le maniérisme. Autre dommage. Mais tout est beau tout de même. Le film est magnifique. Et il faut voir pour apprécier, alors n’hésitez pas, allez-y et vite encore ! Le film a paraît-il fait plus d’entrée à Paris qu’en Pologne. Encore une victoire des lois du marché.
Je ne vous dis pas le grand moment de cinéma qui nous explose à la figure. Le saut de la tante dans le vide. J’ai pleuré en rentrant à la maison. Au cinéma, on peut pleurer aussi. Ce n’est pas si mal.