Krystian Lupa-Les Émigrants

Par Anna Tepli-Aussure

L’Odéon-Théâtre de l’Europe, « maison commune du théâtre européen » est bien fidèle à son rôle en accueillant Krystian Lupa, le metteur en scène polonais magistral qui présente la création à Paris de « Les Emigrants » la pièce de l’auteur allemand W.G. Sebald.

La pièce, jouée par des acteurs français et suisses, comprend deux parties bien distinctes tout en étant en correspondance.

Nous sommes emmenés à la découverte d’univers différents et pourtant similaires, en suivant des personnages déchirés par la séparation d’avec leur patrie.

La première partie nous conte la vie de l’instituteur effacé, Paul Bereyter, mis en lumière dans un état d’émigration intérieure qui murmure son existence et va jusqu’à mépriser un souvenir quelconque lui appartenant.

Prêt à s’oblitérer pour s’intégrer dans une société raciste, antisémite, avant de devoir quitter le pays pour sa survie et finalement revenir car il ne parvient pas à exister en dehors de son univers d’origine.

L’autre partie nous présente un personnage haut en couleur, Ambros Adelwarrth, aux multiples talents, s’intégrant dans le Nouveau Monde à merveille, aux dires d’une parente qui garde précautionneusement les souvenirs de toute la famille. Un nouveau pays plein de promesses d’une vie meilleure, à condition de travailler dur !… Et pourtant, notre personnage est mis en marge en raison de son homosexualité, éloigné des siens, soumis à des traitements médicaux inhumains.

Le narrateur cueille des bribes en éternel Juif errant, et tente de remonter le cours de ses souvenirs en se remémorant l’influence des personnages sur le cours de sa propre vie.

Dans la continuité du théâtre expérimental polonais de Kantor et de Grotowski, Krystian Lupa, a su créer de façon intimiste un climat de non-dits et une atmosphère de silences évocateurs qui permettent au spectateur de se glisser dans l’essence même de la pièce et de l’impliquer dans l’évolution des personnages.

A voir absolument en cette période où l’intolérance pèse souvent sur le monde.

Théâtre de l’Odéon

Du 13 janvier au 4 février 2024