Le festin de l’araignée
Le Grand Palais expose en majesté Niki de Saint-Phalle rendue à elle-même grâce au rassemblement d’oeuvres importantes de l’ensemble d’une vie surchargée de fulgurations et de dynamisme pour ne pas dire de dynamite.
L’artiste elle-même avait toujours dispersé sa création, l’envoyant aux quatre coins de son imagination et de sa fantaisie comme de la géographie universelle de la planète d’aujourd’hui, un pied aux Etats-Unis, partout en Europe, au gré des commandes qui lui étaient faites et des donations dont elle n’était pas avare. Elle aimait faire grand, très spectaculaire, très coloré, très excessif, ne dissimulait nullement ce qu’elle voulait dire: affirmer sa liberté de femme et d’artiste et sa volonté de se battre pour les causes qu’elle défendait mais elle était aussi une conscience au bord de la dépression qui laissait aux démons libre passage.
De ce foisonnement cette rétrospective permet de restaurer l’unité profonde d’une créatrice toujours plus en mouvement qu’en veine d’expliquer et de commenter son oeuvre.
Non pas qu’elle ne le fit jamais; au contraire elle avait la langue bien pendue et les médias étaient toujours à son écoute mais elle n’hésitait pas à parler en tous sens! Elle avait la férocité joyeuse et allait toujours de l’avant. Avec tant d’intensité et aussi de publicité, l’artiste vivait un peu aux dépens de sa création tout en se servant de tout ce qu’elle avait sous la main: sa beauté, son bagout, son audace, son talent, sa créativité en sus de ce brin de folie qui toujours l’escortait.
Au passage, Niki de Saint-Phalle a délimité de manière probablement décisive ce qu’il en est de la condition de la femme artiste, du rôle qui lui est dévolu et de celui qu’elle s’arroge de nos jours.
Curieusement et ce n’est pas un hasard, cette affirmation et probablement cette conquête féminine aura été l’apanage de deux artistes franco-américaines, Louise Bourgeois et elle, deux personnalités puissantes et originales. Elles auront triomphé chacune avec ses armes et non sans avoir à lutter, à savoir se battre et à se servir de toutes les ressources de leur panoplie, très féminine et originale mais très féroce aussi.
Il est amusant de noter pour l’une comme l’autre, leur prédilection commune, au sein de leur riche bestiaire, de l’araignée, le symbole de la volonté de puissance féminine, s’il en est!
A travers ce foisonnement, en regroupant, en disposant avec intelligence un échantillonnage de l’oeuvre à la chronologie bien définie, Camille Morineau en Fait ressortir en pleine lumière et sans équivoque possible l’unité sensorielle et psychique. Les Tirs, les Mariées, les Accouchements, les Nanas comme les Crânes scintillants se répondent dans une dialectique retrouvée.
Le sens inné de l’équilibre au sein de l’excessif de cette grande créatrice du tournant du XXème siècle ressort en pleine lumière pour le très profond plaisir du visiteur.
Henri-Hugues Lejeune
Niki de Saint-Phalle – Grand Palais
Du 17 septembre au 2 février 2015