Le Talisman de Paul Sérusier, une prophétie de la couleur
Par Elsa Kaminski
Actuellement au musée d’Orsay
Le musée d’Orsay met à l’honneur Le Talisman de Paul Sérusier, petit paysage peint au bois d’Amour en 1888 dont l’aspect « synthétique » marque un sommet dans la représentation de la nature. Cette oeuvre qui porte en elle les instructions de Gauguin que le jeune peintre rencontra à Pont-Aven, rompt alors avec les formes diffuses des impressionnistes pour une vue plus simple, directe et des couleurs franches.
Pour en apprécier la portée, il faut avoir présents à l’esprit les mots de son précepteur « Comment voyez-vous ces arbres ? Ils sont jaunes. Et bien, mettez du jaune ; cette ombre, plutôt bleue, peignez-la avec de l’outremer pur ; ces feuilles rouges ? Mettez du vermillon. »
Sérusier confère donc aux réalités simples de la nature, non pas l’exactitude de ce qu’il voit, mais la transposition de ce qu’il éprouve : le symbole plutôt que l’image.
C’est sur la base de cette singularité, d’une conception symbolique du paysage, que se forment alors, sur l’arrière-fond de l’ésotérisme et des sciences occultes, les nabis (prophètes) parmi lesquels on retrouve notamment Maurice Denis, Bonnard, Vuillard, Roussel etc.
Ainsi, sillonnent dans les couloirs de l’exposition les oeuvres d’une génération marquée par cette nouvelle surface plane et colorée. Si le style s’analyse avec une certaine facilité, un coloris pur, posé en aplat et cerné, nuls autres qu’eux ne savent unir la sensibilité et la brutalité de la couleur, la tradition et l’invention du paysage et le caractère insolite et pourtant familier des formes.
La création et la contemplation esthétiques s’inscrivent alors dans la même ligne que la poésie et le rêve où s’affirme, à travers une géométrie mystérieuse des éléments naturels, une dimension sacrée.
Cette transcendance de la surface est telle qu’elle montre comment la faculté d’atteindre l’émotion tient seulement de la liberté du tracé et des couleurs. Ainsi se confrontent la verticalité des Arbres verts de Maurice Denis ou des Pins rouges de Georges Lacombe avec l’horizontalité du Paysage rocheux de Charles Filiger.
Il faut encore citer, sinon pour être complet, du moins pour ne rien oublier d’essentiel, les lignes sinueuses du Paysage décoratif de Jan Verkade, les formes organiques de l’Eglise à Saint-Nolff de Mogens Ballin et les couleurs chimériques du Paysage nabique de Paul Ranson.
Aussi disons, sans plus attendre, que si le musée traite avec une collection admirable de l’influence du Talisman sur l’art de la fin du XIXe siècle, il faut remarquer que les informations quant aux dernières découvertes sur le sujet et qui sont, sans doute dans une large mesure, la raison de son exposition, laissent en revanche le spectateur sur sa faim. En effet, si l’on veut chercher l’origine de cette réflexion picturale, il aurait été intéressant, si ce n’est nécessaire, d’agrémenter ces analyses – effectuées en 2018 par le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France – avec des visuels correspondant. Toutefois, nous pouvons saluer l’idée ingénieuse de rendre visible les deux faces de cet oeuvre iconique : le revers d’un tableau a toujours été l’allié de la curiosité.
Peu de matière et beaucoup d’art, Le Talisman qui fête ses 130 ans, ne cessera jamais de nous fasciner par son équilibre parfait entre la sensation des choses et l’harmonie des formes.
Musée d’Orsay,
Du 29 janvier au 2 juin 2019