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Les arches du désir : Couffignal sculpteur de présence

Par Cyb, peintre

Guillaume Couffignal, artiste fondeur, transforme ses visions en bronze. Barques, escaliers, théâtres, jubés, ces thèmes élèvent la fusion du métal au questionnement métaphysique : la liberté, la mort, la contingence de l’existence. Les dernières œuvres de Couffignal, plus incarnées, rappellent les sculptures de Praxitèle : drapés mouillés, plissés, flots bouillonnants. Ils reposent sur des portants en forme d’arche. Le titre, Arcade, évoque un chemin mystérieux, alternance du vu et du caché. Quel chemin ?

L’arche du portant, comme la voûte d’une chapelle ? Le tombé des plis laisse surgir l’absence du corps. Le plissé mouillé de Praxitèle, antique, hellénistique, avait inspiré au début du siècle dernier le catalan et vénitien d’adoption, Mariano Fortuny. L’ inventeur de « la Delphos », célébré par Proust dans A la recherche du temps perdu, transformait lui, chaque femme en déesse dès qu’elle revêtait la robe fluide, au procédé de fabrication resté secret : soie sensuelle, formes suggérées, élégance voluptueuse.

L’étoffe jetée sur le portant, alanguie en pliures de bronze se répand sur le sol, alors le mouvement de « l’enlever » s’entend _ sourd et délicat, théâtral et spontané. Elle est là. Tagasode. L’irreprésentable. Les grands paravents au Japon, à la fin du XVIème siècle, au début du XVIIème siècle qui marque le commencement de l’ère Edo, avaient développé ce thème particulier nommé Tagasode : « Whose sleeves ? » ou « A qui sont ces manches ? ». A quelle femme ces manches de kimono ?

Drapés sur un support en bois, ou pliés à terre, les kimonos somptueux peints sur les paravents, avec les différences de grain, soie ou coton, signifient par métonymie, et par synecdoque, l’absente. La belle femme, élégante, émane de la peinture comme le parfum, du tissu coloré et précieux. Le toucher, les fragrances subtiles, l’abandon des plis sur les portants de bois, tout suggère l’incarnation vibrante de l’être aimé et désiré, qu’aucune représentation ne pourrait prétendre saisir.

La figure humaine absente atteint ici le sommet de la présence. L’abstraction de ces paravents japonais, couleurs, parallélépipèdes, motifs circonscrits, espace en apesanteur, convoquent l’incarnation insaisissable du désir. Leçon d’art d’un XVIIème siècle nippon éblouissant ? Couffignal au XXIème siècle renouvelle cette expérience esthétique. Il enracine l’art dans la singularité de chacune de ses œuvres, et se fait sculpteur de présence.

  • Galerie Area, 39 rue Volta, Paris 3ème. Tel : 01.45.23.31.52
  • Couffignal  – Exposition « L’aveugle et l’architecte »
  • Du 4 au 28 novembre 2020
  • Livre : Marches de Feux, Couffignal
  • Textes de Cyb, entretien de Couffignal avec Cyb et Théodore Blaise
  • Editions Area Paris, 2019