Magritte au Centre Pompidou
Par Henri-Hugues Lejeune
Quand on va voir une exposition de Magritte, il convient tout d’abord de se souvenir que l’on n’y va pas que pour s’amuser, un mot a été créé pour lui : pince-sans-rire.
Si, en bon surréaliste, il doute de la réalité et met le monde en question et nous avec, il le fait avec un imparable sérieux.
Il y a surréalisme et surréalisme.
Le mouvement a pris naissance avec Dada, qui se moquait de tout à Zurich, pas une ville de rigolos, en une période sinistre, la fin de la guerre 1914-18. Il a pris son véritable essor à Paris où il est devenu une doctrine comme nous savons si bien en inventer, que dis-je une église où il ne faisait pas bon être un hérétique. Magritte s’en apercevra dès 1929 : Breton avait l’excommunication fulminante.
Il a trouvé son lyrisme et sa folie dans la luxuriance espagnole avant de gagner l’Amérique du Sud où il se retrouvait pratiquement dans une expression naturelle de la sensibilité, sans parler d’à peu près le monde entier.
Mais la Belgique ? Là le climat est difficile et triste, où il pleut sans cesse, loin des étendues désertiques et sahariennes de Dali ou de Tanguy, des lumières méditerranéennes de Chirico. L’espace même imparti par ces maisons étroites tout en hauteur sagement alignées, étouffe.
Mais la Belgique est un pays d’artistes, des peintres essentiellement, de farceurs et de kermesses, de plaisantins à froid. Les premiers surréalistes belges étaient des scientifiques, des raisonneurs (Paul Nougé en 1926) et ils imprimèrent au produit belge leur intransigeance logique même et surtout s’il fallait en finir avec la rationalité.
Ainsi par une sorte de paradoxe, par sa rigueur, le surréalisme belge at-il été le plus orthodoxe de tous : plus surréaliste on ne sait pas faire.
L’autre grand peintre Wallon, lui aussi de stricte orthodoxie, Paul Delvaux, dont une grande exposition se termine au Centre Wallonie-Bruxelles, promène, rêveur et obsessionnel, ses jeunes filles nues oniriques et distraites, dans des sites intemporels, impersonnels et froids, réalistes de nulle part.
Mais voilà que, selon Breton, la pierre angulaire de la doctrine était la suprématie du verbe sur l’image ; entendez par là que le surréalisme était poème, invective, divagation, voire roman avant d’être image, œuvre d’art, peinture ou sculpture, collage même, relégués au magasin des accessoires ?
Rétrospectivement, il s’agissait là d’un choix étrange. La peinture, l’art surréaliste ont triomphé sans mélange, imposant et amenant au premier rang les plus grands artistes du XXe siècle, même s’ils devaient le trahir et l’abandonner en route. Alors qu’il ne reste pas debout un roman ni même un poème délibérément surréaliste ?
Doctrinaire et imbibé de philosophie et de pensée dialectique, Magritte secoua le joug dès 1928 en publiant un manifeste pour proclamer la double présence de l’image et de la représentation, de la figure à côté du verbe et encourut derechef l’excommunication dont il ne semble pas avoir intérieurement pâti.
Il entendait réellement mener les deux de pair : son intérêt majeur était la pensée : pendant et après la guerre il s’intéressa voire se passionna pour la philosophie, initié par le professeur de Waelhens, l’introducteur de la pensée de Heidegger à l’usage de la francophonie. La pensée pouvait s’exprimer, fructifier, agir aussi bien par la représentation visuelle que par l’expression intellectuelle.
Dans sa rigueur, Magritte, s’il a toujours conservé le culte révolutionnaire de l’accident, de la rencontre, du choc, de l’étrange, a maintenu une stricte discipline de l’image. Le doute, l’équivoque ne sont pas admissibles dans sa perception: ils seront dévolus mais réservés à l’interprétation, à l’énigme de la contemplation. L’exécution de l’image sera corsetée, sans tolérer le moindre lyrisme; afin d’en souligner l’apparente banalité, l’image sera légèrement surannée, démodée sournoisement, banalisée à l’extrême. Il en va de même de la couleur : précise mais retenue, elle reste au service exclusif de l’image qu’elle illustre sans jamais se hasarder dans le rêve ni ne le tolérer, pas plus que l’anecdote.
Si un rideau de théâtre dévoile un paysage de ciel et de mer, il s’agit d’un vrai rideau et d’une vraie vue de carte postale, nulle tempête en perspective, un calme « essentiel » est toujours présent, le silence reste prégnant.
Si l’homme est enfermé dans la caverne platonicienne, il ne mélange pas pour autant le verbe et la représentation.
Si le peintre se hasarde à inclure une inscription, elle est posée là, bien loin des adages, des clameurs de Ben !
Si l’on doit rêver, continuer à penser dans la ligne de ce que l’artiste nous propose, c’est au-delà et c’est très bien comme ça !
Au Centre Pompidou jusqu’au 23 janvier 2017.