Pierre Bettencourt
Ériger la Merveille
Il est des créations à propos desquelles il n’est d’autre issue que de se tourner vers leur créateur.
Pierre Bettencourt est d’évidence de ceux-là.
Je connais son œuvre, l’admire, la savoure plutôt (et je crois qu’il eût préféré ce mot) depuis de longues années.
L’énigme qu’elle présente est à vrai dire légère, l’auteur ne se présente pas ici autrement que par la monumentale présence de ses hauts reliefs, la perfection sidérante de leur réalisation et l’originalité sans limite de leur invention.
L’œuvre -considérable- de Pierre Bettencourt a accompagné le siècle dernier et qui l’a connu, a pu l’apprécier, rarement mais à haut niveau. Lui-même disait qu’exposer tous les cinq ans, c’est bien assez ! Il est donc resté assez rare.
Presque seuls le connaissaient d’authentiques créateurs d’alors, un peu de toutes les disciplines, partout égaillés, et, si l’on creuse un peu, les chercheurs et inventeurs d’expressions et de sensibilités nouvelles, mais aussi bien souvent, il faut le dire, des plus bizarres !
Citons Dubuffet qui l’entraîna de manière décisive dans la voie de l’art, Michaux poète, artiste, explorateur, voyageur de contrées réelles ou imaginaires, des mescalines et autres substances hallucinantes.
Ajoutons de longs voyages à travers la terre entière ; il fut écrivain, poète, éditeur de publications très restreintes qu’il élaborait de a à z, d’ouvrages de lui ou de ses amis ou des auteurs qu’il révérait. Ce serait une diffamation de songer à lui comme à un touche-à-tout, mais il était de tout explorateur.
Il a de tout temps eu, entretenu la quête curieuse, la collection et là encore l’exploration de tous les matériaux, substances , objets bizarres, coquillages, minéraux jusqu’aux célèbres ailes de papillons qui le conduisirent, par le truchement de « chasses spirituelles » avec Dubuffet , après la guerre, à une démarche proprement artistique, c’est-à-dire à préparer des objets, tableaux, planches, collages, puis sculptures et tout ce que l’on voudra, pour les montrer à autrui, y compris des tableaux-matière comme on dirait de nos jours, des bas ou hauts reliefs, et en effet il les entraînait, ses éventuels bas-reliefs, de plus en plus haut !
Dans tout son parcours artistique, il aura à cœur d’apprivoiser les matières premières les plus hétéroclites, dès lors qu’elles accentuent l’étrangeté et l’originalité de l’œuvre, qui, vous le verrez, vient littéralement d’ailleurs ! Citons pêle-mêle les coquilles d’œufs (très importantes), les éponges, la toile de jute, les grains de café, les pommes de pin, la filasse, les briques…
Ces totems, ces « haut-reliefs » correspondent, répondent oserait-on dire, à une étrange mythologie, indifférente à l’exactitude de ses invocations, mais toujours d’une gaieté féroce ou d’une féroce gaieté, on a la possibilité du choix.
Les idoles pullulent, improbables et peu soucieuses de leur vraisemblance.
En leur compagnie, l’artiste menait à petit bruit sa très originale biographie.
A ceci se superpose la culture encyclopédique de rigueur dans ces générations post-gidiennes, sa curiosité, sa large approche des cultures étranges des civilisations du monde entier, une curiosité intense, une inquiétude métaphysique certaine et l’ironie qui va avec, et le sens de l’absurde. Le surréalisme était déjà passé par là si ses autels, en cette période de guerre et d’après-guerre étaient un peu désertés au profit de l’existentialisme
L’étrangeté et la subversion du monde se cherchaient de nouveaux canaux dont Bettencourt était un des plus hardis chercheurs et pas des moins originaux … il ne me faut pas poursuivre indéfiniment mes propres descriptions à la recherche de phrases qui ne soient pas indignes de leur propos.
Je me contenterai donc en guise de conclusion de dire qu’il est ici question d’un des plus grands, s’il est demeuré étrangement discret, j’ignore s’il s’agissait de modestie ou d’une étrange pudeur, de notre 20e siècle qui s’éloigne peu à peu.
Il a disparu à l’orée du millénaire, a subi certainement, pour d’obscures raisons (l’absence de malléabilité de sa création en est une sans doute) la période de purgatoire souvent infligée aux plus grands artistes, qu’il convient de l’en sortir et qu’il faut absolument pour s’en rendre compte, en attendant mieux, voir cette très belle et sensible exposition.
Galerie Les Yeux Fertiles
Jusqu’au 1er juillet 2017
Henri-Hugues Lejeune