Trois souvenirs de ma jeunesse
Un film d’Arnaud Desplechin Par Pascal Aubier
Pourquoi va-t-on au cinéma ? En ce qui me concerne, et cela va faire bien du temps, je vais au cinéma dans l’espoir d’être ébloui, ravi, ému, heureux ou rempli d’effroi. C’est un peu simpliste mais bon.
Dans ces dernières années nous avons eu la chance de quelques uns de ces émerveillements. C’est heureux mais l’impression générale était que les dits moments de plaisir se faisaient plutôt rares. On ne va pas épiloguer sur l’aspect de plus en plus industriel et profitable du cinéma mondial. On va se réjouir qu’il existe encore des films qui ne visent que la connivence délicieuse avec les spectateurs. Et c’est tellement bien !
Les trois souvenirs de la jeunesse d’Arnaud Desplechin m’ont embarqué dans une grâce inattendue. Ce n’est pas tant les souvenirs en eux même que la façon de nous les conter dans le mouvement de ces acteurs et leurs chassés croisés, dans leur langueur et leur musique. Les mouvements émouvants. Le cinéma même. Le film n’a pas forcément cette grâce tout du long mais il tient assez bien la route.
Il y a maintes routes à travers la grâce du cinéma. Le Muet, le Parlant. Le Tonitruant parfois. Les cinéastes pour lesquels la musique de leurs balades passe avant tout et qui à la fin ne racontent peut-être rien : Les Tati, Iosseliani, Vertov, certains grands Turcs ou Perses, certains Japonais dont les acteurs passent comme des ombres, comme des sourires. Et puis d’autres qui manipulent d’autres magie, d’autres illusions.
Desplechin quant à lui, nous donne un film d’acteurs. C’est à travers eux qu’il raconte son affaire. Le choix est essentiel.
Le film s’ouvre sur l’ombre lointaine de l’ancienne Asie centrale Soviétique, effleurée et incarnée par la trop rare et délicieuse Dinara Droukarova. Pourquoi ne la voit-on pas plus souvent cette perle des perles ? Les metteurs en scène ont-ils peur de sa singulière étrangeté ? Aviez-vous vu Depuis qu’Otar est Parti de Julie Bertuccelli ? Et encore avant, le magnifique Bouge pas Meurs Ressuscite de Kaniewsky ? Tout ça est en DVD, courrez les acheter.
Je reviens aux acteurs de Desplechin qui nous prive de Dinara Droukarova trop vite mais nous laisse avec Mathieu Amalric dont le regard regarde si finement et qui incarne le souvenir que l’auteur a de lui même. Qu’il fasse le bon ou le méchant, le bête ou ile malin, le regard d’Amalric chaque fois nous interroge pile à l’endroit où ça titille. Pour une qualité d’acteur, c’est une sacrée qualité d’acteur. Dans ce film Paul/Desplechin se souvient, c’est à sa suite que nous rentrons dans les brumes de l’enfance et de l’adolescence où nous rencontrons ses Moi anciens. Et sur le propos majeur du film, l’aventure de ce Moi jeune homme amoureux, incarné pour ce temps là par Quentin Dolmaire. Cet acteur a un charme fou dans le sourire, il fait pétiller son personnage. On croit presque à sa maladresse qu’il accentue et feint si bien pour séduire la jeune blonde à peine éclose dans la lumière flamande de Roubaix. Mais elle, elle y croit.
Et elle, c’est la merveille de ce film et de mon souvenir à moi. Et le grand talent de Desplechin a été de la choisir et de la filmer, comme on peint, comme on chantonne. Lou Roy Lecollinet ; je sais ce nom n’a pas l’air vrai mais rappelez-vous en tout de même et courrez voir ce film où elle apparaît pour la première fois.
Cette jeune femme est magnifique non pas, par extra-ordinaire mais au contraire par ce qu’elle a de si simplement ordinaire : la grâce d’une jeune beauté ébauchée, régnant farouchement sur une Terminale provinciale. Adorée, méjugée, jalousée, incertaine et succombant bientôt éperdument à l’amour fou.
Comme si le metteur en scène avait lui aussi succombé. Le souvenir de la jeune Esther qu’il avait aimée puis abandonnée, s’effaçant vite derrière celle qui l’incarne et qu’il filme divinement.
Une séquence magique, la jeune fille apparaît à une fête et se met à danser toute seule au milieu des autres. Que du cinéma, du vrai, de celui qui devrait toujours être fait. On ne sent pas la caméra, la lumière, on ne voit que l’actrice, on ne voit qu’Esther et on l’aime.
Bravo monsieur. Bravo mademoiselle. Bravo, bravo.
Après bien sûr on peut aussi parler, des larmes, des étreintes balbutiantes. Le jeu est joué et nous entraine dans son histoire, on est embarqué. Chassés croisés donc entre Roubaix et Paris, entre l’ethnologue en herbe et son amour de jeunesse qui s’étiole doucement en s’enfonçant dans son malheur. Sans jamais perdre de sa grâce. Il n’y a qu’à aller voir le film.
La jeunesse est pleine de regrets et pire, de remords. Mais merci pour nous, Pau devenu adulte-on retrouve Mathieu Amalric, saisissant-fait ce que l’on a tous rêvé de faire : dire son fait au copain de Roubaix qui autrefois profitant des larmes d’Esther pour son amoureux si loin, avait mochement entrepris de se la faire. Avec tous les mots qu’il faut, en présence de la femme du sale type, il lui balance son mépris en revenant avec plaisir sur les faits. Séquence extrêmement réconfortante qui annonce la fin des souvenirs et de la jeunesse.