Une Rance à Soi
Par Kat Sroussy
Karine Fougeray est l’instigatrice d’une exposition magnifique Une Rance à Soi, en escale cette fois-ci à La Maison du Voyageur et des Epices, à Cancale, jusqu’au 30 octobre 2022.
Karine, vous êtes écrivain et journaliste, quelle fut votre formation ?
À la base, j’ai fait des études de graphisme donc je suis graphiste et directrice artistique. Je suis également auteur de trois romans publiés. Puis j’ai découvert la technique du podcast il y a quatre ans à l’occasion de la Route du Rhum à Saint-Malo. J’ai écrit et enregistré trente-deux chroniques quotidiennes sur ma vision de femme de cette course. Je suis passionnée de voile et j’ai deux obsessions récurrentes dans ma vie : les hommes et les femmes qui vont en mer, et les femmes tout court, tout ce que j’écris tout ce que je fais tourne autour de ces deux pôles.
Un jour, j’ai décidé d’aller rencontrer des femmes venues d’ailleurs, ancrées sur mon petit territoire autour de la vallée de la Rance un peu élargi quand même. Et j’ai eu très envie de les mettre en lumière avec l’idée de les photographier et d’illustrer ces photographies de podcasts sonores.
Votre voix accompagne aussi ces présentations, extrêmement précise et remarquable.
On a vraiment plaisir à l’écouter, ainsi que la voix de chaque femme accompagnée de musique et d’une histoire qui parle des pays d’origine de ces femmes.
-Oui c’est passionnant mais le projet fut très long à monter car en fait la scénographie est assez audacieuse et atypique. Moi dès le début j’avais une idée déterminée : je ne voulais pas de photos accrochées au mur à plat comme pour 90% des galeries. J’avais déjà le désir d’un support concave qui favorise l’immersion et qu’on puisse rentrer en symbiose et en connexion avec ces femmes et tourner librement autour de ce support, l’idée du tipi ouvert est vite arrivée.
Là j’avais imaginé un pied et Christophe Bachmann, architecte dinardais, m’a aidée à concrétiser le design, on va dire, de cette mise en scène. Imaginez un trépied, plutôt un tipi qu’on peut démonter, replier et partir en voyage avec tout ce projet.
Il tient grâce au mot cohérence. Être cohérent de A à Z !
L’exposition a été conçue autour d’histoires de nomadisme et de voyages et est elle-même itinérante. Elle va aller de lieu en lieu pour emmener ses histoires qui démarrent sur un petit territoire mais dont le propos est complètement universel.
C’était vraiment la valeur ajoutée du projet et mais cela a été compliqué à faire, à vendre, à faire comprendre.
Le projet fut ardu parce qu’il y a eu beaucoup d’artistes sollicités.
Moi-même je rencontre ces femmes, puis elles me racontent leur parcours de vie.
Il y a toute la partie écriture : j’écris beaucoup avant l’enregistrement des podcasts, ensuite vient la partie sonorisation et mixage. J’ai travaillé main dans la main avec Manuel Armstrong, musicien auteur-compositeur-interprète qui avait déjà travaillé avec moi lors du projet sur la Route du Rhum. Enfin c’est une équipe de cinq photographes, tous issus du petit territoire de la création du projet, qui ont assuré avec brio, les prises de vue et les tirages.
L’idée était vraiment que tout parte du territoire de création : du fabricant des fameux tipis nomades aux artistes en passant par les femmes, les protagonistes.
Ainsi, j’ai privilégié les valeurs humaines, la propension des photographes à l’empathie et à la compassion plutôt que seulement la qualité esthétique. Et avec du recul j’ai eu mille fois raison. Ces rencontres, ces prises de vue, ces échanges furent parfois très douloureux, parce que parler de son passé n’est jamais anodin et cela a déclenché des émotions sur beaucoup de femmes. On a eu l’impression d’ouvrir des boîtes de Pandore et moi-même et les photographes n’avions pas réalisé l’ampleur du travail et de l’accompagnement à effectuer. J’habite les femmes et donc nous nous sommes retrouvés tous embarqués dans une aventure humaine assez exceptionnelle et ce projet a changé réellement la vie de plusieurs femmes.
C’est au-delà de la simple exposition oui c’est bien au-delà vous avez dû aussi travailler dur pour essayer de trouver d’une aide financière, ce n’est pas évident.
–Le projet a mis trois ans à se monter, j’ai dû m’atteler à remplir des dossiers de subvention auprès de la région du département et des départements autour puisque le territoire de la création du projet et à cheval sur les Côtes d’Armor et l’Ille et vilaine, les communautés d’agglomération, les villes et les partenaires privés.
J’ai eu la chance d’être élue et d’être lauréate d’un appel à projets de la fondation BPGO, banque populaire grand ouest, et donc cela lui a donné un coup de pouce.
En fait cela a aidé à sa légitimité et alors d’autres partenaires sont venus se greffer.
Quand vous avez un, deux, trois partenaires publics/ privés cela ouvre des portes. Mais c’est très long, très compliqué, cela demande une énergie de folie !
La ville de Saint-Malo a voulu l’exclusivité du lancement du projet. À partir de là tout est allé très vite on a décidé une date pour le lancement de l’exposition qui a démarré sa première itinérance au Frac, Parc de la Briantais à Saint-Malo du 1er juillet au 28 août. Ensuite elle est allée chez un partenaire privé au grand hôtel de Courtoisville en septembre. Début octobre dans les jardins de la maison de voyageurs à Cancale jusqu’à la fin octobre et après elle part au Palais des Festivals de Dinard qui organise pour la première fois un petit événement d’une semaine en partenariat avec la Route du Rhum. Cela s’appelle un Balcon pour un Rhum, autour de conférences, Une Rance à Soi sera admirée.
Espérons que cette exposition poursuivra sa route, animée de cette énergie appelée Ouverture et Partage…
–Ce projet est tellement atypique qu’il amène tout le temps d’autres projets et des créations croisés. L’exposition essaie d’inventer, de proposer des événements créatifs dont un premier bivouac littéraire nomade. Au mois de juillet dans le parc de la Briantais, un auteur Olivier Liron chez Gallimard, est venu avec son dernier roman, en lice pour plusieurs prix : Le Livre de Neige, histoire de sa maman, réfugiée espagnole sous Franco, une vraie cohérence avec les femmes de l’exposition : Mariana Montoya, Blanca Moreno dont la langue commune est l’espagnol. Et Mariana, une jeune danseuse et chorégraphe colombienne a travaillé sur la chorégraphie de son propre podcast lors d’une résidence artistique fin octobre à Saint-Malo et celui de Sofia la malgache.
À terme l’idée est de chercher des résidences artistiques, d’essayer de créer un partenariat avec le théâtre de Saint-Malo pour construire un vrai spectacle de danse contemporaine autour de ce projet avec trois danseuses sur scène une mise en scène avec les tipis qui bougent qui roulent, qui reviennent, qui repartent. Toutes les femmes du projet vont avoir un rôle à jouer même minime dans ce spectacle. On cherche des résidences artistiques avec deux nouveaux partenaires pour concrétiser ce spectacle.
J’essaierai d’en faire part à cet ami qui est devenu directeur du théâtre de Saint Malo.
Visuels Katy Sroussy
Affiche Karine Fougeray