Charles-Henri d’Elloy, un antimoderne face à l’époque
Par Hugo Pradorel
Charles-Henri d’Elloy publie Au bal des facétieux, le quatrième volume de ses chroniques « radioactives ». Même s’il n’y avait déjà plus guère de doute, il confirme avec ce livre qu’il ne sera jamais invité sur France Inter.
Il y a beaucoup à dire sur les années pour le moins étranges que nous venons de vivre, de la pandémie « covidique » à l’affaire Depardieu. Téméraire ou peut-être un peu masochiste, d’Elloy s’est chargé lui-même de cette mission. En quatre-vingts petits textes, qu’on appellera chroniques, billets d’humeur ou pamphlets, il regarde en face notre époque – et ses délires collectifs –, qui emprunte un peu, il faut le dire, à la logique totalitaire et au dressage des masses. Il revient donc d’abord largement sur les événements du printemps de l’année 2020, ce qui est certes l’occasion de remuer le couteau dans la plaie, mais aussi d’anticiper les moqueries des historiens du futur, qui chercheront à comprendre comment un virus aussi peu dangereux et qui ne menaçait que les personnes âgées et les diabétiques a créé une panique aussi gigantesque dans la civilisation. Sur ce sujet, d’Elloy n’en démord pas, ou plutôt il ne décolère pas. Car c’est un bilieux, un grognon, un ronchon, qui a d’ailleurs son rond de serviette au club du même nom, le Club des ronchons, donc, présidé par l’écrivain Alain Paucard. Dans une langue assez acérée, il tire sur tout le monde : les sachants, les pédants, les gouvernants. Et bien sûr d’Elloy, qui a le tempérament saturnien, s’en prend en ces pages directement à Jupiter.
Petits rappels contre l’historiquement correct
Il y a un peu de tout dans Au bal des facétieux. De petits rappels historiques salutaires que feraient bien d’écouter les partisans de la table rase. Qui sait – ou a seulement su – que c’est l’Église catholique « qui a reconnu la capacité de la femme au libre consentement du mariage » et qui « a exigé le libre consentement des époux comme condition essentielle de validité du mariage » ? Qui sait que la décentralisation sous l’Ancien Régime – principal argument historique de ceux qui veulent encore moins d’État, plus d’Europe et plus de région – tient davantage du mythe que de la vérité historique ? Qui sait encore que l’Inquisition en France ne fut pas un tribunal de clercs sanguinaires passionnés de persécution, mais une étape essentielle dans le développement du droit incluant procédure d’enquête et avocat de la défense ? Il y a quelques années, un intellectuel a parlé de l’arrogance du présent. Et c’est bien de cela qu’il s’agit, cela d’autant plus que les idéologies de notre époque sont implacables, sous couvert de bienveillance et au prétexte du progrès : le néo-féminisme, l’écologie, par quoi on veut régenter la vie de chacun jusque dans son foyer. Et l’escroquerie de l’art contemporain est aussi drôlement dénoncée à l’occasion de l’empaquetage de l’Arc de Triomphe par Christo : « Et pourquoi pas demain un immense sac poubelle pour emballer le palais de l’Élysée ? » Mais il y a également dans ce recueil des passages un peu incongrus, comme ces bulletins d’informations datant de 2020 diffusés sur Radio-Courtoisie (d’Elloy est patron d’émission sur la célèbre radio de la gauche radicale), dont le lecteur se demande ce qu’ils viennent faire dans un livre qui sort en 2024. Et quelques piques un peu faciles – et maintenant émoussées –, comme celle contre le rap.
L’art d’aggraver son cas
La langue de Charles-Henri d’Elloy est verte, truculente, riche et précieuse dans le bon sens du terme : il est question des galfâtres de notre époque, que l’auteur n’aime guère, mais aussi de quelques drouilles et de quelques gaupes, qu’il méprise carrément et à qui il reproche, preuves à l’appui, de clabauder sans raison. Il faut avoir son Robert à portée de main ou même le dictionnaire du Lexilogos ouvert dans l’onglet pour profiter des délices de cette langue. Charles-Henri d’Elloy n’est décidément pas Michel Bussi, qui a récemment avoué sans honte que les personnages de son roman sont toujours « surpris », mais jamais « interloqués ». C’est la fête des mots rares, littéraires ou familiers, à la sonorité amusante et qui s’accordent très bien avec l’emploi parfaitement assumé de l’imparfait du subjonctif, y compris dans ses formes baroques (l’auteur est un admirateur de Cyrano). Doit-on lui en vouloir pour trois ou quatre jeux de mots un peu faciles ? pour quelques plaisanteries un peu éculées, comme celle au sujet des pauvres, que « la gauche aime tellement qu’elle en fabrique » en permanence ? Ou pour l’usage un peu trop fréquent du point d’exclamation ? Passons sur ce petit grief et les petites manies de l’auteur, car d’Elloy use avec un certain talent des armes de la rhétorique. Parfois un peu à la façon des judokas, qui utilisent la force de l’adversaire à son détriment : les hommes sont accusés d’être des « prédateurs » ? Oui, c’est vrai mais c’est heureux, « puisque c’est ce qui leur a permis de se nourrir depuis des millénaires ». Au bal des facétieux pourrait passer pour un manuel d’aggravation de son propre cas, technique où l’auteur fait preuve d’une belle maîtrise.
Bilieux assumé, d’Elloy est quelqu’un avec qui on se sent en bonne compagnie : il a beaucoup d’humour et il n’épargne personne, y compris lui-même. L’anecdote de son inscription à un pèlerinage par Internet – qui tourne très mal – est un petit sketch très réussi. Technophobe assumé, il n’hésite, pour faire rire, pas à se montrer à son désavantage dans ce domaine, sachant que l’on ne manque jamais de rire à la vue d’un passant qui glisse sur une peau de banane. Il y a aussi quelques anecdotes touchantes sur son ancienne jeunesse et les réveillons qu’il passe en (ours) solitaire.
Bref, avec Au bal des facétieux, Charles-Henri d’Elloy ne va pas se faire que des amis pour de futures réceptions chez lui, à Cormeilles-en-Parisis. En forlignant ainsi, il risque même de ne pas sortir de son décri. Cela tombe bien : sa salle à manger est peu spacieuse.
Charles-Henri d’Elloy
Au bal des facétieux
Éditions Une autre voix, 224 pages