Christian Bobin, de l’autre côté du monde
Par Catherine Murgante
L’écrivain, poète, Christian Bobin s’est éteint le 23 novembre 2022 à l’âge de 71 ans. Ce grand romancier contemporain est l’auteur d’une œuvre importante, faite d’une soixantaine de romans, d’essais, et de recueils de poèmes.
Christian Bobin, artisan de l’écriture, travaillait au feutre et aux ciseaux car « il ne faut conserver que l’essentiel et beaucoup couper. Il faut écrire droit« , disait-il. Le poète nous rappelait que la pensée est « scintillante » et puisée à la source du cœur, mais que cette pensée, scintillante, peut devenir brûlante. « La pensée, c’est l’ouverture de quelque chose en nous, voire le sentiment d’être fracturé. C’est ce qu’on appelle la beauté, la surprise d’être devant quelqu’un, un visage qui s’avance et qui est comme l’annonce de quelque chose ».
Christian Bobin choisissait d’aller vers ce qui paraît ignorer le passage du temps, « l’amour dans sa première timidité, l’attente. Toutes ces choses que la vie moderne commençait à nous enlever, à nous voler« .
Ami du peintre Pierre Soulages, disparu un mois auparavant le 26 octobre 2022, il lui avait consacré un livre « Pierre, » où il écrivait, « Je me moque de la peinture. Je me moque de la musique. Je me moque de tout ce qui appartient à un genre et lentement s’étiole dans cette appartenance. Il m’aura fallu plus de soixante ans pour savoir ce que je cherchais en écrivant, en lisant, en tombant amoureux, en m’arrêtant net devant un liseron, un escargot, ou un soleil couchant. Je cherche le surgissement d’une présence, l’excès du réel qui ruine toutes les définitions. Je cherche cette présence qui a traversé les enfers avant de nous atteindre pour nous combler en nous tuant« .
Pour faire face à nos tourments et aux petits problèmes qui nous aveuglent, le poète proposait de réapprendre à nous émerveiller, et pour mieux voir toutes les beautés qui nous entourent de regarder dix siècles en arrière. Dans « La nuit du cœur » il fait le récit d’une nuit à Conques, cette petite commune de l’Aveyron où est abrité un chef d’œuvre de l’art roman, l’abbatiale Sainte-Foy, et l’art de Pierre Soulages qui y a conçu les vitraux. « La lumière qui vient du fond des temps, qui traverse ces vitraux, les colore avec une douceur incroyable, avec des qualités de couleur incroyables, de bleu, de rose, de rose pêche comme le ventre d’un biche ou d’un daim.« , disait Christian Bobin. Il évoquait les curieux de Conques, ces petits personnages cachés à l’extérieur sur le tympan de l’abbatiale, des êtres qui ne sont plus et qui nous regardent de l’autre côté du monde, « ahuris de voir notre fatigue, notre distraction et nos vies éparpillées« .
Le poète aimait citer ce vers de Jules Supervielle « ce qui ne nous sauve pas immédiatement n’est rien ». Christian Bobin cherchait à rappeler que « ce qui nous sauve est la parole quand elle est juste. La poésie au sens large« .
Le dernier ouvrage de Christian Bobin, « Les poètes sont des monstres » paraît le 2 décembre 2022, aux Editions Lettres Vives.