Le temps des classiques et la Beauté de vivre *
Les connaissons-nous tous, ces auteurs classiques de littérature européenne dont la lecture nous tient en haleine et nous rend insomniaques, et dont ils nous arrivent de dire, en soupirant, « oh, ils savaient écrire » ? Les connaissons-nous donc tous, ces écrivains majeurs venus d’ailleurs qui manient parfaitement l’intrigue, entremêlent le destin des hommes et la grande histoire, qui font vibrer notre intelligence et nos émotions ? Et bien, non, cela reste étonnant pour les uns, rassurant pour d’autres : nous avons encore des grands noms de lettres à découvrir et leurs romans à lire, ces fresques épiques qui sont à goûter lentement, avec délice, avec passion et qui marquent souvent le début d’une nouvelle aventure littéraire et intellectuelle.
Stefan Zeromski est sans aucun doute parmi ces génies étrangement inconnus en France, mais lus et commentés bien au-delà de sa langue et de son pays, la Pologne, puisque ses romans ont été traduits en anglais, en allemand, en espagnol, en italien, en russe et dans tous les pays d’Europe centrale. Et pourtant, les initiés français de lettres le connaissent par ouï-dire, un peu comme un référent ou une légende, et les auteurs de la notice du « Dictionnaire littéraire Larousse » n’hésitent pas à dire de Zeromski qu’il se classe indéniablement parmi les plus grands romanciers européens tant par l’excellente qualité de son écriture… que par la finesse et la complexité avec laquelle il présente l’histoire personnelle de ses personnages pris dans la tourmente de la grande histoire.
Stefan Zeromski, cet écrivain passionné et à scandale, fut appelé « le Dostoïevski polonais » ; son contemporain et ami, Joseph Conrad, disait de lui, « un Maître », et des générations entières de Polonais le considéraient comme « la conscience de leur littérature » et d’eux-mêmes. Son dernier roman L’Avant-printemps, paru moins d’un an avant sa mort en 1925, suscita en Pologne le plus grand débat littéraire, et politique surtout, que ce pays ait jamais connu, un débat vif et étrangement long, puisque la relecture de ce texte se fait encore aujourd’hui, et un réalisateur de renom en avait fait, en 2001, un long-métrage.
Mais là, il est temps de refermer la présentation de l’auteur et passer à l’œuvre. La Beauté de vivre, ce roman inédit en français, est tout d’abord l’histoire d’un homme, Piotr Rozłucki, officier de l’armée russe d’origine polonaise. Les premières pages nous le présentent à l’âge de vingt-quatre ans, en 1882, à Saint-Pétersbourg, puis en route pour son premier poste qu’il doit occuper sur les terres de la Pologne centrale faisant partie, depuis plus d’un siècle, du vaste empire de toutes les Russies. Piotr est un militaire russe brillant, destiné à suivre une carrière d’exception. En sera-t-il ainsi ? Non, pas tout à fait, puisqu’il doit tout d’abord se mesurer à son propre passé, l’histoire complexe de sa famille polonaise qui a vécu, en se déchirant, les drames d’un peuple conquis et colonisé. En refermant le volume, nous quittons Piotr Rozłucki une vingtaine d’années plus tard, à l’âge mûr, en homme complet, ayant goûté à la vie, dans toute sa difficile beauté. Nous l’avons donc suivi à travers deux continents, il a aimé passionnément, il s’est révolté, il a risqué sa vie, travaillé, gagné, perdu, gagné de nouveau. Mais La Beauté de vivre est bien plus qu’un roman d’apprentissage, ses principaux sujets sont la liberté, celle d’un individu, d’une communauté, d’un peuple, mais aussi l’amour. Et sur la passion amoureuse, ce roman nous offre des pages parmi les plus intenses et subtiles de la littérature européenne, les critiques littéraires classant Zeromski aux côtés de Dostoïevski et de Flaubert.
La Beauté de vivre est publié par « Trakt » éditions, soutenu par l’Institut polonais du livre qui encourage les traductions des grands auteurs de son pays. Et tous les passionnés de la bonne littérature sont invités à visiter le site de l’éditeur où ils trouveront, en libre accès, l’article « Pourquoi lire Zeromski aujourd’hui ? ». Ayant admiré Zeromski il y a des années, en polonais, l’ayant traduit aujourd’hui en français, nous ne pouvons que vous souhaiter de beaux moments de lecture.
Krystyna Bourneuf et Anna Ciesielska-Ribard
PDF La Beaute de vivre Couv BD
* Stefan Zeromski, La Beauté de vivre, Paris 2016, Trakt édition, 400 p., prix 16 €. www.trakt-editions.com et chez votre libraire.