Masques
Par Henri - Hugues Lejeune
Ils se réfèrent à la nuit des temps.
Jamais ne pourra-t-on savoir quand les hommes les ont imaginés, pour de fragiles raisons de fragilité et de conservation, encore a-t-on pu constater que de nombreuses populations, en vertus de quelles croyances ? en paraient leurs morts et que cette éventualité, loin d’être générale est présente un peu partout, pour certains donc, à travers le vaste monde et ceci de tout temps, ou à peu près.
Sans qu’il soit évidemment question de masques, sur les parois de fresques très préhistoriques, l’on peut constater des figurations d’êtres humains pourvus de têtes d’animaux divers.
De nombreux carnavals ou défilés folkloriques ou festifs contemporains comportent les mêmes ou à peu près, représentant des personnages traditionnels, mêlés aux masques qui en impliquent d’autres.
Quand les tombeaux se mettent à figurer leur habitant, celui-ci aura son « sosie » pourvu d’un visage aussi bien « figuratif » que symbolique ?
Ces quelques constatations impliquent l’immanquable présence d’une évidente idée de figuration de la face humaine dans l’espèce.
Quand une religion éventuelle intervient, il y a certainement l’idée au moins de son idéalisation ; l’espérance par exemple d’une pérennité bien sûr, celle aussi de la sérénité et une certaine confiance donc dans l’autre monde.
Dans quelques autres aussi, moins bien connue, il semble y avoir des objectifs très précis de métamorphose (à travers une réincarnation ?) symbolisée par la présence, dans la sépulture, de représentation d’animaux métamorphiques notamment et à leur présence symbolique dans différents emplacements ou parties du corps humain (à l’intérieur ou à l’extérieur ?) de la dépouille.
Tout le monde en réalité semble toujours eu dans la tête l’idée d’intervenir sur la face humaine, dans une acceptation plus humainement proche, la volonté de la faire valoir, de la dissimuler actuellement, de la cacher même bref de « jouer avec » en vue de toutes les éventualités possibles ou imaginables.
La Mort, le masque n’est pas là pour s’y soumettre, certainement entend-il la défier.
Affirmer la vie, ses métamorphoses, son foisonnement, son exaltation, ses fêtes, voire ses débordements.
Au point d’incommoder au plus haut point dans les activités humaines, ce et ceux qui en établissent les règles, consolident ses structures. Tant les autorités politiques que les religieuses.
Les Pères de l’Eglise y voient des résurgences païennes, voire magiques ; la Fête est mal vue par la religion catholique mais elle a elle-même ses célébrations calendaires ; ainsi lui faudra-t-il composer, d’autant que ces pulsions humaines sont intrinsèques, immémoriales, part entière du patrimoine génétique. Sous nos latitudes au moins le jeu de la succession des climats et des saisons dictent ou suggèrent de véritables scenarii. Jusqu’aux latitudes les plus nordiques qui instaurent des célébrations festives au cœur de l’hiver afin de marquer le retour de l’accroissement des heures diurnes (fêtes de la Lumière).
N’y a-t-il pas non plus ces Forces du Mal, diaboliques ou infernales qu’il nous faut combattre, jusqu’au fond parfois de nous-mêmes ?
Bref les supports psychiques de ce transformisme, de cette souplesse, de cette disponibilité que l’homme détient en lui-même et qui est un témoignage éclatent de la richesse de son tempérament, de son pouvoir de métamorphose.
Le masque en est un des plus supports, qui lui permet le plus simplement possible de se changer à vue à sa guise.
On peut dire à son sujet bien des choses, presque tout. Et ce sera pour le mieux puisque de toute manière il entend se faire remarquer, que l’on parle de lui ; alors, qu’il dissimule avant tout ! Il est l’absolue contradiction de lui-même l’ambiguïté incarnée.
Vous mettez un masque, le porter pour dissimuler votre visage : mais bien plutôt pour vous faire remarquer ? Prenez bien garde qu’il ne vous donne pas l’air d’être trop vous car aussitôt l’on supputera votre laideur !
Il est des plus anciens ? Dès que les humains l’inventèrent ils entendirent le faire savoir au point que de nos jours nous ignorons souvent que leurs déguisements voulaient dire ou prouver au juste et que nous persistons à incarner parce que nous y voyons quelque miroir où il nous amuse de nous regarder à titre gratuit même si nous jouons les démons ou les sorciers.
Ainsi retrouve-t-on le déguisement depuis les millénaires sur les fresques préhistoriques d’un peu partout qui métamorphosent leurs personnages en sorcier, chasseur masqué à tête d’animaux souvent évoluant parmi ses proies, dansant ou prenant la pose, voici près de 20.000 ans ! Il est avéré qu’un des moyens les plus primitif d’approche par l’homme de ses proies était de se déguiser pour paraître jusqu’au bout l’un d’entre eux. Ainsi sans doute d’émettre des bruits rassurants pour leur future victime ; certaines tribus primitives le font encore ! Attention donc !
Se faire oublier et se dissimuler soi-même : mais au point de se faire remarquer et d’intriguer ? N’est-ce pas l’ambiguïté même ?
Le masque souvent s’allie avec le costume en vue de sortir de soi-même et de jouer un rôle convenu attribué à un personnage lui aussi imaginaire faisant partie d’une représentation spectaculaire.
Leur langage ou les fonctions qu’on leur attribue n’ayant jamais plu aux principes établis dont ils représentent une subversion, leur puissance populaire et leurs élans étaient si naturels aux hommes qu’il fallut toujours composer, au point que cette dualité pût paraître intrinsèque à l’espèce humaine et sans doute l’était-elle.
Partout la tradition populaire, ce que l’on nomme de nos jours le folklore (n’y a-t-il pas dans ce terme une appréciation quelque peu supérieure bien peu justifiée ?) n’a jamais abandonné la partie, l’on est encore obligé de compter avec elle et de lui faire place bien que la vie moderne, le « progrès » lui soit peu favorable mais le recul est évident et les carnavals s’amenuisent-ils. Du moins se localisent-ils en fêtes et en célébrations locales qui restent bien affirmées et définies, placées bien souvent sous l’invocation de saints ou de célébrations dont le caractère et le fond « païens » sont évidents, mais ils sont « coutume » ayant bien souvent accueilli en leur sein divers animaux ou monstres plus ou moins fabuleux. ! Tarasques, géants, monstres, dragons ou serpents imaginaires.
Tout ceci n’est pas absolument éteint : ce sera bien nous qui aurons inventé le Père Noël et tout le peuplement des Parcs d’attraction de Disney, quelques Fées bien commerciales et autres personnages virtuels (nains, sorciers divers, mages etc.) qui ont cours à travers l’univers entier ou presque ?
Un masque se détache et se caractérise du fait qu’il est toujours symbolique d’un défi quelconque de la part de son porteur. Il a la particularité de n’avoir que faire de la beauté car le masque représente la contradiction ! Puisque lui, masque se contredit de par sa propre affirmation, s’il affiche sa beauté… Il devra se contenter d’un « Loup » ! Sinon, méfiance !
Il serait interminable et vain de cataloguer les différentes familles de masques où toute les « corporations » souvent se représentaient ou l’étaient, non sans quelque satire bien souvent (on y voyait des médecins !).
Ils sont et restent dans nos cœurs cette promesse de fêtes, cette affirmation de liberté…s voire de désordre : faire rire, réfléchir aussi. Ils convoquent le spectateur en lui lançant le plus séduisant des défis.
Il sait annoncer la folie : la famille des fous y est innombrable : le masque qui y participe annonce-t-il qu’elle est temporaire ?
La futilité, la farce, la légèreté, surtout de nos jours en est devenue une constante : si l’on veut méditer, approfondir on poussera sa quête jusqu’au crâne, à la tête, la pérennité sous-entendue se fera ostensible et réclamée. On dira alors, en profondeur, ce que l’on entend dire.
Il s’agissait pour nous, masques, avant tout, de présenter le monde autre, à l’envers.
Bien entendu les artistes ont eu tôt fait de s’aviser de cette source intarissable de thèmes et surtout de libertés et ils sont très nombreux à travers les siècles à s’y être aventurés et à les pousser dans leurs retranchements, parés de leur créativité.
Dans les siècles précédents, de grands, très grands créateurs de leur époque étaient souvent chargés de la conception et de l’organisation des fêtes du pouvoir de leur époque. Ils en étaient fiers et heureux, Léonard de Vinci s’en est acquitté à la cour des Vinci à Florence puis à celle de François Ier comme Le Greco dans l’Espagne de Philippe II. Les personnages déguisés et imaginés y étaient légions tant sur scène que dans les salles de bal ou les défilés.
Ainsi peut-on rêver des masques dessinés par ces grands hommes et leurs équipes et la preuve en est bien là dans les cartons qui par hasard ont échappé au temps.
Rare sera l’artiste peintre ou sculpteur qui n’y mette un jour la main ne fut-ce que pour s’y distraire.
Bien sûr l’Art Brut en est un usager bien particulier comme il lui en incombe, tant en ce qui concerne les masques eux-mêmes mais aussi bien leurs matières premières ! L’imagination puisqu’elle a libre cours peut s’en donner à cœur-joie, pousser dans tous les sens, annexer tous les matériaux, les idées les plus divertissantes ou horrifiques, bref toute la gamme.
Ainsi une artiste aussi diverse qu’imaginative telle que Josette Rispal ne manque jamais d’inclure quelques masques dans chacune de ses métamorphoses, se produisant ainsi dans une sorte de Carnaval.