Lettres

Thérapie sur Cintre

De Jean Charles Rosier

 

Interview: Kat Sroussy

 

La porte ouverte de cette fameuse librairie de Montparnasse, nous incite à y flâner.

Toutes sortes de beaux ouvrages y sont présentés et un petit livre noir juché presque en patère…L’auto-portrait de Francis Bacon illustre la couverture et nous interpelle

autant que son titre Thérapie sur Cintre !

C’est avec délectation, euphorie, curiosité, rires et interrogations philosophiques que nous écoutons, que nous parcourons ce livre si intelligemment déconcertant.

-L’auteur Jean Charles Rosier nous a  livré  quelques indices sur son inspiration et sur les prémisses de son écriture:

 

J’écris  depuis très longtemps, je prends des notes, je rassemble des idées, jusqu’au jour où j’ai réussi à formuler un début d’histoire  consistant à raconter celle d’un homme dans son pressing…Une nuit, je me suis réveillé en décidant de transformer cet homme en cintre. Ensuite m’est venue l’idée de l’Involontariat,  c’est à dire l’idée de la volonté dépourvue d’intentions. Ne sachant pas quoi faire de cet homme, jai trouvé l’idée du psychanalyste et de la redingote noire. Un psychanalyste de renom de Montparnasse, quartier de l’inconscient, vient la rechercher. Il repart avec sa redingote et le cintrehomme qui donc porte sa redingote. Il installe le cintre-homme dans son cabinet, où l’absurdité de la situation excelle. Là le cintre se met à écouter, à comprendre les séances des patients, peut être afin de se soigner lui même. J’ai réuni des témoignages de patients et de psychanalystes mais moi-même je n’ai jamais été psychanalysé, je n’y crois pas vraiment, malgré mon grand intérêt pour cette thérapie.

 

Cela m’a permis de travailler sur l’imagination, cette histoire est créée , inventée grâce à l’imagination. Ensuite j’ai travaillé sur le texte, l’écrit à travers la langue, plutôt que la langue à travers l’écrit. Cela m’a pris beaucoup de temps  en écriture et ré-écriture.

 

La langue est très importante pour vous, qui étiez journaliste puis rédacteur en chef?

 

Oui, je fus aussi plume politique, après trente ans dans la presse écrite, au Matin  de Paris , au Nouvel Observateur, au Canard Enchainé et rédacteur en chef du Journ’Hal du  Parc de la Villette.

Au départ j’ai appelé ce livre l’Involontariat, on m’a déconseillé ce titre.

C’est ainsi que Thérapie sur Cintre est né, on se demande ce que cela veut dire, ce qui est clairement plus créatif.

 

Est-ce que la langue est plus importante que l’écriture ou le contraire?

 

Au départ j’ai travaillé sur l’imagination, l’oralité et l’inventivité de la langue, j’ai cherché à la stimuler par l’oralité de la langue, même à inventer des mots, pour avoir du plaisir à lire à haute voix. Je ré-écrivais, je temporisais  lorsque le son n’était pas bon. Mon désir et mon plaisir  était de donner de la résonance à la langue, de l’oralité, du rythme, s’interrompre pour prolonger le sens, jouer avec les mots en claquant la langue et donner du son et de la voix au texte. J’écris pour qu’on ait envie d’entendre la langue, pour que la langue écrite devienne sonore, avec une ponctuation qui slame, qui donne le ton et séquence le langage. La langue écrite doit être sonore et modérément forte.

 

Mais pourquoi inventer des mots? Que recherchez vous en prenant ces risques de pirouettes langagières?

 

J’ai voulu faire une expérimentation, j’ ai tenté d’exprimer un apprentissage du langage, d’un langage inventé en créant des mots  à travers la langue écrite, cela témoigne de la pensée et de la conscience. C’est cette condition qui autorise la création.

A partir  du moment où on est capable d’inventer des mots et donner du sens, c’est une spécificité de la condition humaine, je trouve. Seuls les hommes et les femmes ont cette force du langage et de s’exprimer, de dire ce que l’on ressent.

 

Nous percevons à travers votre expression, des sons forts et des images, l’ouïe, l’esprit et la vue sont sollicitées grâce aussi à l’analyse photographique des mots, à l’écoute et la réflexion ?

 

A l’image de Joyce, dans la dernière partie du texte, j’ai essayé à travers un monologue intérieur de transmettre un univers personnel, un ressenti. J’ai tenté une performance linguistique, grâce à  l’invention de concepts, comme l’Unparfait du subjectif ou encore  l’Involontariat. Cette combinatoire du langage m‘a permis de créer un univers langagier rattaché au fil d’une histoire singulière.

 

Et cette histoire cintrée alors, est-ce une fiction?

 

Oui, bien sûr, l’imagination est primordiale,  j’ai voulu que le langage concorde avec l’éloquence, que mon écriture corresponde avec le langage parlé. La dernière phrase du texte « Quand la dernière minute n’est plus qu’une question d’heure » illustre cette démarche.

 

 

Que dire du choix de la couverture?

 

Il y a une totale correspondance entre la couverture, l’auto-portrait de Bacon,  et le texte. Bacon était suffisamment dans l’absurde et dans la transgression, pour que ce choix soit très intéressant.

 

Pour terminer, cette combinatoire de la langue écrite et du langage est très importante moi.

 

Merci à vous, Jean- Charles Rosier, cela donne réellement envie aux lecteurs de lire votre opus et  à certains auteurs ou dramaturges de l’adapter car votre «texte-conte-roman» est très théâtral.