Portraits

Entretien avec Ghislaine Lejard

Par Mylène Vignon

Chère Ghislaine comment la littérature est-elle arrivée dans votre vie ?

Elle est arrivée dans ma vie avec la figure lumineuse de René Guy Cadou, lumineuse poétiquement et humainement. Je suis native de Châteaubriant et René Guy y a vécu avec Hélène à Louisfert à quelques kilomètres.

Il a connu des castelbriantais dont certains de ma famille et amis de la famille, qui ont été marqués par sa mort prématurée. Très vite après son départ certains de ses poèmes étaient déjà connus. Une autre figure marquante, celle d’un autre poète ami de René Guy Cadou, Yves Cosson un castelbriantais. La toute première fois que j’ai rencontré Yves Cosson, c’est mon oncle qui me l’a présenté, j’avais une dizaine d’années et cette rencontre a eu lieu à Guérande où cet oncle avait une librairie papeterie. Yves Cosson passait alors ses étés à Piriac. Il sera plus tard mon professeur à l’Université de Nantes, il me permettra d’approfondir l’œuvre de Cadou et de découvrir celle de Paul Claudel. Nous sommes devenus amis et, jusqu’à son décès, nous nous rencontrerons souvent, participerons à des rencontres avec Hélène Cadou qui à sa retraite partagea sa vie entre Nantes et Louisfert l’été. Avec Hélène et Yves Cosson , René Guy Cadou restait bien vivant.

La littérature a été très vite pour moi « incarnée ».

De l’enfance à aujourd’hui, elle m’est essentielle. Il y a eu les livres, mais il y a surtout eu de très belles rencontres, des rencontres marquantes, Pierre Seghers, Eugène Guillevic, Julien Gracq, Charles Carrère, Frédéric Jacques Temple… pour ne citer que quelques-uns qui nous ont quittés. Beaucoup de ces rencontres se sont prolongées par des échanges épistolaires, à une époque où les échanges par mails disparaissent vite, j’ai des boîtes pleines de cartes et de lettres  essentiellement de poètes. Je tiens encore aux échanges épistolaires qui hélas aujourd’hui se raréfient, les manuscrits me sont précieux et me touchent toujours.De votre carrière d’enseignante, quelles sont les valeurs que vous conservez aujourd’hui ?

En tout premier, la valeur de la transmission.

Transmettre la beauté de la langue française, la richesse de la littérature  pour  faire naître l’envie de lire et d’écrire.

Transmettre le sens de l’effort car chaque jour on réalise que tout ne vient pas facilement, mais que l’effort est porteur de fruits multiples.

Et toujours vivre la richesse du partage, la joie de la rencontre,  le bonheur de l’échange,  apprendre en  découvrant l’autre dans sa différence.

Nous ne cessons comme élève ou comme enseignant d’apprendre et de grandir ensemble.

L’art du collage tient une très grande place dans vos activités, pouvez-vous nous en parler ?

Comme la poésie, le collage m’est essentiel, j’ai publié mon premier recueil en 1983, mais le collage est resté longtemps mon jardin secret, je ne pouvais pas montrer mes collages, je ne sais pas pourquoi ? J’ai beaucoup expérimenté et beaucoup regardé le travail des collagistes du XXème siècle notamment celui de Jiri Kolar… Le collage est pour moi une autre forme d’expression poétique et la formule de Jiri Kolar est très juste : «  Le collage est poésie ». Il y a des poèmes qui ne peuvent exister que par l’image, je crée alors des collages.

Je réalise des livres d’artiste qui mettent en relation ces deux expressions poétiques.

Dans quel ordre définiriez-vous vos activités créatives ? vous sentez-vous plutôt poète ou collagiste ? même si vos collages sont tellement poétiques !

Le collage et la poésie sont complémentaires dans ma création, ce sont les deux faces d’une même pièce. Je suis poète-collagiste ou collagiste-poète, autant l’une que l’autre ; bien que je produise plus de collages que de poèmes… Je « colle » presque tous les jours, ce qui n’est pas le cas pour l’écriture poétique qui me demande une pause plus longue. Mais alternent depuis quelques années maintenant, expositions et publications.

Quel est votre rôle à l’académie de Bretagne ?

Je suis membre active de cette académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire depuis 2012, nous œuvrons à la valorisation de la littérature et des arts de la Bretagne et des Pays de la Loire, l’académie décerne plusieurs prix littéraires, elle organise des rencontres, des conférences, des cafés littéraires depuis 1998 imaginés par Catherine Decours, Jean Amyot d’Inville et Jean- Yves Paumier tous les trois membres de l’académie. L’académie participe voire organise aussi des colloques…

Je suis membre du bureau, j’ai présidé de 2013 à 2015 le prix Loire Atlantique fiction, qui aujourd’hui n’existe plus ; en 2016 le chancelier et le bureau m’ont demandé de présider le prix de l’académie, je suis aussi membre du jury du prix de poésie Yves Cosson et membre du jury Plumes d’Equinoxe car l’académie est partenaire de ce salon littéraire organisé par la municipalité du Croisic, plusieurs membres de notre académie font partie du jury. J’anime l’un des 4 cafés littéraires qui se tiennent à Nantes, le café Les livres d’ailleurs qui a lieu en février. J’œuvre aussi pour la francophonie avec mon confrère Henri Copin, nous organisons des rencontres francophones dans le cadre de Place(s) au Monde en partenariat avec Nantes Métropole. Comme beaucoup de membres, je contribue au Cahier de l’académie.

Quelles sont vos lectures actuellement ?

Mes lectures sont nombreuses et variées. Mais majoritairement mes choix  me portent vers des livres qui interrogent sur l’homme, qui questionnent sur le spirituel, sur le sens de la vie, sur le sens qu’on veut lui donner. Tout écrit, romans, essais ou recueils de poésie, qui ouvre sur l’espérance.

Lire et relire toujours René Guy et Hélène Cadou, Christian Bobin, Yves Bonnefoy, Julien Gracq…

Je vous livre mes toutes dernières lectures : Les musiques de l’âme Annie Colen, La maison  Julien Gracq, Les deux Beune Pierre Michon, le goûter du Lion Ogawa Ito, Propos d’altitude François Cassingena Trevedy.

Quelle musique écoutez-vous ? Peut-être est-ce celle du silence ?

La musique classique, mais je préfère les concerts à l’écoute dans le cadre de la maison. Vous avez raison, j’écoute le silence.

Je ne peux réaliser de collages ou écrire que dans le silence. Même la musique classique est absente quand je crée. J’ai besoin d’entendre le silence, il est comme une page blanche sur laquelle j’écris un poème ou un collage.

Avez-vous un rêve … un projet ?

Que tout continue, créations et rencontres, le plus longtemps possible et que je puisse les partager.

Depuis peu vous avez intégré l’équipe de rédaction de Saisons de Culture, que vous apporte cette nouvelle activité ?

Cette activité me procure beaucoup de joie, elle prolonge  mon travail de critique car je publie des recensions. Grâce à Saisons de culture, je peux partager mes découvertes artistiques, mes coups de cœur en galeries ou en expositions, je peux échanger avec des artistes et offrir ces échanges.  Elle prolonge aussi cette carrière d’enseignante dont les deux piliers furent l’écriture et la transmission.

Est-il une maxime qui vous caractérise ?

« Tout est possible à celui qui croit. »

J’aimerais tout à la fin du parcours pouvoir dire : «  tout est bien… tout est grâce. »

(Visuel Yvon Kervinio)