Portraits

Esther Ségal

Par Mylène Vignon

Esther Ségal est arrivée dans l’équipe Saisons de Culture, présentée par la peintre Sophie Sainrapt, lors d’une réunion au Café de Flore. Elle est rapidement devenue l’une de nos rédactrices, en proposant la rubrique Les coups de cœur d’Esther Ségal. Son prochain livre,  Le sentier des étoiles est à paraître prochainement dans la collection de notre maison d’édition éponyme.

Entretien :

Esther, je te connais pléthore de disciplines artistiques à ton actif, alors comment te présenter : photographe, animatrice radio, essayiste… ?

   Chère Mylène, c’est une excellente question qui soulève un vrai débat dans notre société française où l’on est souvent tenté d’enfermer dans une case les activités de chacun et chacune. Pour ma part, ces fonctions variées que tu énumères sont l’une des branches de l’expression artistique que j’affectionne tant. Il y a le visible, l’audible, le tactile et l’esprit et tout est imbriqué. La photographie, fondation visuelle et originelle de mes recherches, est approfondie spirituellement par un questionnement théorique qui résonne dans les deux émissions de radio que je dirige. Les livres en sont l’objet plastique tout comme mes travaux artistiques. C’est une boucle ! et je n’ai pas de préférences particulières. Je suis aveuglement mes intuitions sans me poser de réelles questions.

Quels sont les titres de tes précédents livres ?

Il y a  De L’Un-Précis  entre Chair iconique et Ecriture de lumière, essai sur la photographie. Cet ouvrage est un essai/manifeste et une thèse qui parle de la perception du médium photographique et de sa corrélation avec notre culture judéo-chrétienne au travers de mes travaux personnels. Le second est une pièce de théâtre Rédemption, illustrée de photographies originales réalisées dans l’univers du métro racontant la neuvième heure du Christ au royaume des morts où se croisent Jésus, Satan et Dieu mais aussi Nostradamus, Jeanne d’Arc et en dernier Judas. Dans ces échanges perdus dans les couloirs souterrains, les traîtres ne sont pas toujours ceux que l’ont pense. Indépendamment de ces ouvrages personnels, j’ai un ouvrage collectif traduit en français et en italien où le théâtre religieux occupe encore la première place mais avec humour et deux ouvrages artistiques collectifs en édition limitée avec un poète italien, Marco Corsi en partenariat avec l’académie des Beaux Arts de Brera et le lumineux peintre italien Adalberto Borioli.

En matière de photographie, as-tu l’impression d’avoir apporté quelque chose de particulier à cet art, peux tu expliquer ta technique ?

J’ai essayé de lui ré-apporter une dimension métaphysique et d’envisager la photographie sous un jour plus essentialiste débarrassé des références que l’on retrouve dans les valeurs refuges de l’art contemporain aujourd’hui. La photographie n’est pas seulement un marqueur de mode, journalistique ou sensationnel accompagnant la société dans sa splendeur et sa misère, c’est aussi une pratique aux qualités scientifiques et poétiques exceptionnelles qui réitère des expériences archaïques et sacrées. L’artiste utilise la lumière, l’écriture, c’est un acte profondément magique, qui sous une forme simple nous explique toute la richesse de notre inconscient collectif, notre rapport à l’invisible et à la spiritualité. C’est en ce sens que j’espère participer activement au développement de cet art, dans la révélation d’une « écriture de lumière » qui fait « la lumière sur les écrits ». Pour ce qui est de la technique, je travaille, à l’aveugle, à la pointe métallique durant de nombreuses heures, jours, mois et chaque réalisation est une pièce unique.

Comment prépares-tu tes émissions de radio ?

C’est un long processus de maturation. Il y a beaucoup de recherches en amont, de livres, de concepts, d’intuitions et de notes. Chaque émission est un révélateur sur lequel je m’appuie pour continuer à avancer dans cette démarche sensible et théorique. Je passe des semaines à remplir des cahiers puis vient le moment de l’écriture où tout se recoupe, tout s’emboîte. Ce sont des moments importants. Je me demande à chaque fois si je vais y arriver car cette synthèse que je réalise et que les auditeurs entendent chaque mois m’échappe complètement et je suis toujours aussi surprise d’y parvenir. C’est d’une certaine manière, une forme de ravissement.

La philosophie est-elle importante dans ta vie ?

Oui, mais je l’approche toujours avec candeur et simplicité. L’idée étant d’en saisir la beauté et l’esprit mais sans y perdre mon langage artistique.

 Quelles ont été tes plus belles rencontres, tes maîtres ?

  Dans un premier temps, ce sont des rencontres au détour de livres avec Jung, Eliade, Freud, Romain Gary, Duras, Eluard, Cioran, Kierkegaard, Didi-Huberman, Yourcenar, Jabès, Mishima, Derrida et tant d’autres. Ce sont aussi des rêves visionnaires qui ont parsemés mes premières découvertes de révélations surprenantes. Et puis, j’ai eu la chance d’être supportée par une mère attentive, d’être accompagnée dans cette aventure par mon grand ami Eric Joly et Mr Michel Dupré, mon professeur de maîtrise qui, chacun à leur manière, ont su partager mon enthousiasme pour ces recherches photographiques et intellectuelles. Après, la suite n’a été qu’une succession d’heureuses rencontres dans le monde de l’Art contemporain : Jean-Luc Chalumeau, Gérard Georges Lemaire, Giordano Bruni, André Rouillé, Christian Gattinoni, Claude Mollard qui m’ont mis le pied à l’étrier, l’incroyable communauté de « Jeune création », Sophie Sainrapt, Eric Patou, Claude Yvans, mais aussi les comédiens de cœur du théâtre du Nord-Ouest avec qui je collabore en permanence. Plus récemment Martine Boulard, Baudouin Lebon, Michèle Rossi, Michèle Gaillard, l’équipe de Saison de Culture, ma radio. Je les remercie tous d’avoir été et d’être encore là !

Une anecdote inédite pour Saisons de Culture…

Il y en a tellement… (Rires). Je vous raconterai l’une de mes toutes premières rencontres avec l’un des acteurs de l’Art : André Rouillé. Un soir, où plutôt une nuit, nous étions sur le point de fermer le salon de  Jeune Création et la foule était encore dense à la Villette. Je devais avoir 21 ou 22 ans lorsque je vis arriver sur mon stand un homme stressé et en colère que je ne connaissais point et qui semblait remonter contre le salon car il considérait que ce dernier était entré dans le système et avait perdu son côté révolutionnaire. Il répétait qu’il n’écrirait pas sur le salon ! J’étais seule avec lui, le président de l’association n’était pas à mes côtés et j’écoutais avec vigilance cet homme me confier son désarroi et sa colère. À cet instant, j’eu le sentiment qu’il fallait réagir rapidement et que cet homme devait absolument écrire sur  Jeune Création car la cause restait noble et les artistes de qualité. Je ne pouvais pas le laisser repartir ainsi. Prenant mon courage à deux mains, je lui dis cette phrase que ma mère m’avait toujours répétée pour que je ne me marginalise pas dès mon enfance, à savoir : « Il faut entrer dans le système pour le combattre de l’intérieur ! ». André Rouillé, soudain s’arrêta net, me regarda et repartant tout aussi énergiquement qu’il était venu, me dit haut et fort : «  Ah ! J’ai trouvé le titre de mon article sur le salon ! ». Ce jour là, je compris que je venais d’avoir eu mon premier bon réflexe artistique !

 Quels sont tes projets pour 2020 ?

Du mois de décembre au mois de février, je serai commissaire d’exposition pour le fond d’Art de l’Ermitage. En mai, je serai au salon des femmes de lettres. En Aout, au Japon, pour une exposition à Tokyo au National Art Center en partenariat avec le salon d’Automne et en septembre, pour la seconde fois, je présenterai une exposition personnelle avec le fond d’Art l’Ermitage. Au mois de novembre, aux côtés de l’artiste performeur vidéaste Claude Yvans, nous réaliserons une performance musicale avec un orchestre et une chorale à Toulouse.

 Ta maxime préférée ?

Avec un crayon et un papier, on peut tout réaliser…